L’année du Singe, Patti Smith (par Jean-Paul Gavard-Perret)
L’année du Singe, octobre 2020, trad. anglais (USA) Nicolas Richard, 180 pages, 18 €
Ecrivain(s): Patti Smith Edition: Gallimard
L’étreinte de la mémoire : Patti Smith
Patti Smith poursuit l’inscription de ses traversées. Elle franchit le temps sans défaillance, restaurant au besoin l’orée du réel par des épigraphes ensevelis là où le mot se déclare non définitif mais inscrit néanmoins ses sommations.
A chaque passage, ses blessures, ses murmures, ses étreintes. La créatrice coud au temps de l’année du Singe des charnelles, mais aussi mystiques intrusions en ce geste d’écrire où les mots qui scellent les défaites du monde et quelques victoires personnelles.
Ici, au reliquaire de dissonances en dissidences, en disparitions, fatale introspection que ses précédents livres incisaient, fait place une révélation plus profonde, et un élancement tourbillonne entre les rêves qui demeurent même s’il faut toujours se réveiller ensuite, comme le rappelle la dernière page du livre.
La marche sera suivie de la chute, mais le temps n’est pas venu. Face à l’effervescence et les « armes » du monde qui passent à l’action pour tuer les âmes et les corps dans des injustices que l’auteure souligne, plus question pour Patti Smith de mélancolie pour ponctuer sa marche.
Existe une chronique du temps dans un déploiement où se heurtent parfois les membres mais jamais l’esprit de la créatrice. Celle qui a souvent abordé le vide, perdu pied au bord du gouffre et peiné à s’en retirer, connaît désormais l’incantation au jour. Aux assombrissements des cendres s’oppose la parole à la jonction du passé et du présent, même s’il plonge en des mers de lave, et bien des glissements à l’amorce de ce que certains estiment comme la fin de notre monde et de nos orbites en rotation.
Patti Smith nomme ainsi un automne déchiré au vent. Et si le temps s’est décousu, le signe du singe est là, à l’embrasure des phrases d’une créatrice qui ne farde jamais ses dires. Le souffle des mots est là, ils percent dans l’effacement des espaces, repoussent ce qui broie. Et dans solécisme du corps, Patti Smith tente de créer une seule et vaste image sortie du chaos. Elle n’ajoute rien mais crée une réflexion sur le temps et la réalité.
C’est peu diront certains. Mais on ne saurait se contenter de moins, comme disait Beckett. Là où Patti Smith ose se pencher pour voir, même si « è pericoloso sporgersi ».
Mais un mat planté dans sa tête comme Mapplethorpe, elle tire le ciel sur elle lorsqu’elle a froid. Si bien qu’entre le rêve et le réel elle a choisi l’état somnambulique qui permet un nécessaire recul.
Jean-Paul Gavard-Perret
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