Je voulais leur dire mon amour, Jean-Noël Pancrazi
Je voulais leur dire mon amour, janvier 2018, 130 pages, 12,50 €
Ecrivain(s): Jean-Noël Pancrazi Edition: Gallimard
Né à Sétif en 1949, Jean-Noël Pancrazi a vécu à Batna avant de s’exiler avec sa famille, juste après les accords d’Evian. Crève-cœur, déracinement, vie à Perpignan. On est en 1962.
Cinquante-trois plus tard, le romancier revient à Bône, devenu Annaba (ancienne Hippone de Saint Augustin) pour être juré dans le nouveau festival cinématographique qui décerne les « Anab d’or » parmi une sélection de films des bords de la Méditerranée.
Le récit Je voulais leur dire mon amour retrace avec acuité, mémoire et nostalgie un voyage aller/retour amer ; l’écrivain se faisait une joie de revoir la terre natale, de retourner, comme on lui avait promis, une fois le festival clôturé, dans la ville de sa dernière résidence algérienne de 1962, Batna.
Les époques se bousculent : son amour du cinéma l’a toujours traversé ; les salles de cinéma interfèrent, du Régent de l’enfance et des palmes de Cannes que l’on passait avec retard à la salle de projection d’Annaba, son regard réévalue le monde perdu, le recrée, à sa manière, mélancolique, en de très longues phrases charpentées, toujours lisibles, d’un style inouï. On reconnaît à sa patte cet univers qui enserre dans les longs développements le cœur mis à l’épreuve du temps et de ses secousses. À Batna, durant la guerre d’Algérie, il y a eu pour le jeune ado une explosion au cœur d’un cinéma. Aujourd’hui, à Annaba, on évoque dans les films les problèmes aigus du temps : terrorisme et immigration. Le temps d’une phrase, même brève, on passe d’une période à l’aujourd’hui (décembre 2015, premier festival).
C’est l’occasion pour le romancier subtil de recréer un contexte, comme il l’a très bien fait dans Madame Arnoul et Renée Camps, ou encore dans le récit La montagne, plus récent.
Les décors, les parfums, les usages sont passés au filtre d’une sensibilité de tous les instants, au tamis d’un style reconnaissable entre tous, à l’aune des prosateurs Bianciotti, De Ceccatty. De longues phrases toutes de circonvolutions favorisent, il me semble, une prise en compte des diverses réalités et matières qui tressent la mémoire de ce narrateur, apte à saisir, au-delà de l’émotion, au-delà des pures sensations, l’enveloppante nature du temps, ambigu, complexe, qui imprègne sa conscience, l’attise et lui fait énoncer sur ce mode sa propre remémoration des jours perdus.
La beauté poignante du livre tient évidemment à sa chute, que nous ne dévoilerons pas ; le lecteur, qui connaît un peu ce mémorialiste sensible, sortira de Je voulais leur dire mon amour avec l’âme pincée de détresse, signe des grands livres, partageables, que l’on ne peut oublier.
Philippe Leuckx
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