J’étais nu pour le premier baiser de ma mère, Tchicaya U Tam’si
J’étais nu pour le premier baiser de ma mère, Édition présentée et préparée par Boniface Mongo-Mboussa, Gallimard, coll. Continents noirs, novembre 2013, 595 pages, 22 €
Ecrivain(s): Tchicaya U Tam’si Edition: Gallimard
On étouffe et sombre à moins ! Imaginez : une séparation d’avec la mère à l’âge de quatre ans (mère et fils ne se reverront que près de cinquante ans plus tard), un père député du Moyen-Congo à l’Assemblée nationale française aux côtés de… Léopold Senghor et Aimé Césaire, une entrée au collège à Orléans à un âge (14 ans) où les autres s’apprêtent à le quitter, une infirmité que trahit chaque pas qu’il fait (pied bot)…
A sa mort en avril 1988, en Normandie, Tchicaya U Tam’si laisse une œuvre considérable faite de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre et surtout de poèmes dont la publication aujourd’hui en un volume par Gallimard Continents noirs ne pèse pas moins de cinq cents pages. Ce tome I des œuvres complètes est donc uniquement consacré à sa poésie. L’écrivain et historien des littératures francophones, Boniface Mongo-Mboussa, a déployé beaucoup de talent et de patience pour rassembler des écrits éditorialement dispersés au long de trois décennies. Il lui donne judicieusement un titre emprunté au poète lui-même et qui dit sans aucun doute la genèse de son œuvre.
J’étais nu pour le premier baiser de ma mère
J’étais nu devant Sammy et les hommes
J’aurais froid déjà
sans ce goût de sel noir
dans votre sang noir.
J’ai les ongles d’une femme dans ma chair
Je me saigne pour qu’elle jouisse d’amour
Mais cachez-moi l’image de son dieu
ce fakir dont la grimace me dessale l’âme
mais que les fougères
gardent à la terre
la fraîcheur d’un carré d’eau violente
Épitomé, 1962
Cet ouvrage commémore in extremis les vingt-cinq ans de la disparition d’un auteur dont le nom avait été cité pour le prix Nobel ; et nous offre une occasion probante de rendre hommage aux qualités de critique et d’éditeur de Boniface Mongo-Mboussa. Depuis à peu près une dizaine d’années, il introduit dans la littérature africaine en langue française une exigence et une originalité d’analyse qui feront date.
La critique littéraire, forme d’art nécessaire, indispensable, est assez peu développée au sujet des écrits d’auteurs africains de langue française. Des travaux universitaires remaniés et édités, des anthologies qui consistent en des notices biographiques suivies d’extraits romanesques, certes ; mais très peu de cet exercice d’évaluation interne, libre, sans motivation académique des œuvres littéraires africaines. Jusqu’aux écrits du Congolais B. Mongo-Mboussa principalement édités chez Gallimard, dans la collection Continents noirs. L’édition d’œuvres complètes, en soi, est significative d’un accomplissement et d’une maturité tout à la fois de création et de critique littéraires. Mongo-Mboussa est le premier à en proposer en littérature africaine de langue française. Ce volume des œuvres poétiques de Tchicaya U Tam’si qu’il présente suit trois tomes consacrés aux conférences, articles et discours du camerounais Mongo Béti, l’un des plus importants romanciers africains de langue française. Cette publication (Le Rebelle, 2007) elle-même vient après un ouvrage tout à fait inaugural intitulé Désir d’Afrique dans lequel Mongo-Mboussa, dans son introduction comme dans ses questions aux écrivains africains et antillais qu’il a rencontrés au fil des années, éclaire toutes ces créations littéraires.
J’étais nu pour le premier baiser de ma mère bénéficie pleinement de ce sens littéraire éprouvé de Mongo-Mboussa. La préface qui l’introduit, sans délayage de notes en bas de page, répond aussi bien au connaisseur du sujet qu’au lecteur qui aborde cette œuvre poétique pour la première fois. Après ce texte introductif, et avant des repères biographiques judicieux, Mongo-Mboussa laisse le lecteur pour ainsi dire en tête à tête avec une « poésie travaillée par des ruptures de ton et des collages (…) juxtaposant souvent le prosaïque et le sublime ». Une sensibilité qui semble (oui !) bien plus moderne – plus libre en tout cas – que celle de Senghor.
Un jour il faudra se prendre
marcher haut les vents
comme les feuilles des arbres
pour un fumier pour un feu
A travers temps et fleuve (extrait), Feu de brousse
Je passais par le ciel
quand la mort est passée
l’oiseau en est mort
il tombe dans mes bras !
Rien qu’un peu de mon âme
ne lui rendrait le chant
qui colore encore son bec
l’étoile interrogée
ferma l’œil et ne cilla
La lune prit le voile
non pas par pudeur
mais se consolant mal
qu’aucun astre ne veille
l’oiseau mort que mon souffle
en vain cajole et plaint !
L’oiseau mort, La veste d’intérieur
Et ces vers volants pour ainsi dire, à la fin du volume, intitulés « Notes de veille », où l’on devine le poète démuni du paravent des illusions aussi mince soit-il…
Pourquoi n’est-elle pas venue
un soir me prendre au berceau
Je n’avais qu’un lit de feuilles
Un rapt facile…
« Cet homme qui voulait piller la nuit était saoul de tristesse :
c’est de n’avoir pas su tuer en lui celle qu’il aimait ».
Laisse-moi d’abord prendre l’âme, tue après, le corps est ce
qui se damne le moins.
Théo Ananissoh
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