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J’étais à deux pas de la Ville Impériale (4/10)

Ecrit par Didier Ayres 25.09.14 dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

J’étais à deux pas de la Ville Impériale (4/10)

 

 

 

Dans un jardin d’hiver, l’hiver


Que faire ? Oui, que faire ?

Regarde son allure.

C’est un bel objet.

Cela veut dire ?

Juste une heure.

Regarde-le à l’envers.

Un verre ?

Non ?

Une petite mort.

C’est un très bel objet.

Daté de quinze cent trente-cinq.

C’est une petite mort ?

Et cela aussi, avec cette sorte de couronne.

Un cortège.

On dirait.

L’allégorie de la nuit.

C’est cette petite mort qui me plaît.

Non ?

Alors.

Une chose belle à voir.

Une nuit de noces du XVIIème.

Une nuit d’épousailles.

Une belle nuit claire comme ce soir.

Ça n’existe pas.

La nuit ?

Non, l’allégorie de la nuit.

Oui, la nuit.

 

Une pièce pour piano

Nous n’avons que deux heures.

L’avion ?

Oui. L’avion.

Le billet ? Où ? L’aller ou le retour ?

Une ville étrangère, donc.

A toi ?

A vous deux ?

A moi.

Le nom d’une ville des Wichita-Mountains en cinq lettres.

Non, le nom de ton grand-père ?

Argenti.

Argenti quoi ?

Argenti de la Taste.

Tu inventes.

Non, pas du tout, c’est son nom, une petite notabilité politique dans sa région, même avec un nom rigolo comme le sien.

Un lied ?

Oui, un lied.

Je ne sais pas.

Huit violoncellistes, on devrait pouvoir trouver.

Un costume sombre, cintré juste au niveau des côtes flottantes.

En noir ?

En noir, en caramel, couleur puce, etc.

Celui avec le boutonnage bizarre aux manches ?

Le noir.

Oui, alors là, c’est vraiment super.

Entre dix-sept et vingt-trois ans ? Non ?

Une manière de dire.

Ou de ne pas dire.

C’est toujours mieux que de le garder pour soi.

Regarde les catégories : d’un côté les hommes, avec leur Rolex et leur montre Rado, et les filles complètement hystériques avec des bagues de chez Biscotte, et le tout qui vaut rien, non, rien.

C’était à huit heures.

Précise.

Et pour la répétition ?

Allez voir là-bas.

Il est arrivé jeudi, il part mardi, donc, c’est même pas un contrat.

Avec eux seulement, on ne sait pas.

Il est atteint par une forme grave de dépersonnalisation, ce qui le coupe longtemps de la vie, des événements réels de la vie, comme une barque détachée et qui bouge pas du rivage, mais qui n’est pas sûre ; eh bien, c’est à peu près comme une crise de dépersonnalisation.

Il fumait dehors.

Je reprends.

Les œillets !

Ils sont beaux.

C’est magnifique.

Tu le connais ?

Non.

Dis-lui que je reviens.

La soirée ?

C’est pour la soirée ?

Oui, pour la soirée.

Tu sais que c’est une période qui ne revient qu’une fois tous les neuf ans.

Oui, ces papillons. Ils ne se reproduisent que tous les neuf ans.

Tu connais l’histoire du prince Mychkine. C’est comme l’histoire de ce livre. C’est comme une angoisse. C’est un peu de moi dans ce camélia du jardin.

Je te dis, tous les neuf ans. Cela oblige à fixer le sort. Oui, c’est comme si c’était écrit, écrit par avance, et qu’on avait pas le choix.

Oui, comme les papillons. Tenus par une force incroyable. Et puis rester dans une chambre, ce n’est que pour pouvoir profiter du silence éternel.

Personne n’entend les papillons, parce qu’ils ne font pas de bruit individuellement. Mais, avec les Monarques, c’est une race spéciale ; on entend le frottement de l’air, même si c’est très silencieux, à peine un froissement. C’est une sorte de flottement très léger dans l’air. Personne n’entend, parce que personne ne sait écouter.

Une journée blanche, comme on le dit d’une transaction commerciale. Donnant donnant. C’est tout.

Ce qui ne doit pas durer, ce qui doit mourir périt, que peut-on y faire.

C’est le et qui est important.

Ce qui fait se joindre les papillons. Pas un papillon avec un autre, mais un millier avec un millier d’autres. Ça ne dure pas évidemment, et ça ne recommence que dans neuf ans.

Parce que la mort, c’est horrible. C’est la peur. Vous savez, l’angoisse est une affaire bizarre. Je veux dire le rapport dialectique avec la mort, avec ce qui est vivant, comment on répond.

Je sais qu’une petite partie peut fonctionner seule. Mais pas tout l’ensemble.

Il faut sans doute des lois. Des lois de probabilité. Une sur des milliers. Une probabilité de ce genre.

Comme c’était, pour le camélia, qui n’avait aucune chance de prendre.

Hormis que c’est flottant et qu’on peut difficilement calculer. Je n’ai pas encore trente ans, alors j’ai encore à apprendre. Oui, comme le prince Mychkine, disiez-vous.

 

Didier Ayres

 

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A propos du rédacteur

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.