Grand Union, Zadie Smith (par Ivanne Rialland)
Grand Union, Zadie Smith, mars 2021, trad. anglais, Laetitia Devaux, 284 pages, 21 €
Edition: Gallimard
Ce premier recueil de nouvelles de Zadie Smith regroupe des textes parus pour certains dans le New Yorker ou The Paris Review. Tous, même les plus fantaisistes, sont en prise avec l’actualité, et laissent lire un net engagement politique, par le choix des personnages, des thèmes, des points de vue : femmes noires méditant sur leur vie, transsexuel essayant un corset, retour sur le meurtre, à Londres, en 1959, de Kelso Cochrane par de jeunes blancs.
Le recueil frappe par la variété des genres et des formes narratives. Certains textes sont des manières de fables ou de contes moraux, comme La rivière paresseuse, brève satire du mode de vie occidental, ou Situation de blocage, qui met en scène de façon amusée le Créateur. L’un des textes les plus forts est Deux hommes arrivent dans un village, qui relate le viol de l’ensemble des filles d’un village dans un style travaillé par l’oralité et la poésie des légendes. L’horreur de la situation en est certes ainsi estompée – ce n’est pas le reportage que vise Zadie Smith – mais c’est pour faire apparaître la question, morale, du sens de ces viols, de la construction de leur sens à travers le récit : le récit du violeur, refusé par la femme du chef, celui que tisse Zadie Smith à la première personne du pluriel, englobant le lecteur, la lectrice, dans un nous féminin.
À côté de quelques nouvelles à la narration plutôt classique, comme Mlle Adele et ses corsets – peut-être la plus marquante dans la veine réaliste du recueil – des détours du côté de la science fiction dystopique (Serrer la main du président !), Zadie Smith propose des textes plus essayistes, des manières de chroniques où elle se met en scène avec une plume particulièrement alerte. Les humeurs forment une suite de brefs textes, certains convoquant des personnages new-yorkais qu’on s’amusera à retrouver dans d’autres nouvelles, d’autres consistant en des manières de maximes, fragments, posts de réseaux sociaux – que Zadie Smith mime avec un plaisir sensible. Dans un texte comme Maintenant plus que jamais, le style, très rythmé, crée une atmosphère qu’on pourrait dire frénétique où Zadie Smith – et c’est là où elle paraît la plus originale – parvient à porter nos lubies contemporaines à un point d’incandescence tel que nous basculons dans un univers fantaisiste, voire fantastique, sans presque nous en apercevoir. Elle excelle aussi dans les demi-teintes, instillant dans ses récits une distance mélancolique qui complexifie, voire désamorce leur sens apparent. La nouvelle qui ouvre le recueil, Une dialectique, livre à première vue une morale simple, pointant les contradictions très actuelles d’une femme qu’on dirait « flexitarienne ». On ne peut toutefois s’empêcher d’y voir un trompe-l’œil tant cette mère de famille assise sur la plage d’une miteuse station balnéaire est poignante : c’est moins la satire de nos travers contemporains qui séduit dans ce recueil que cette tonalité douce-amère, portée par une écriture tantôt retenue, tantôt exubérante, faisant l’unité des nouvelles au-delà de leur diversité apparente.
Ivanne Rialland
Zadie Smith, née en 1975, est une écrivaine britannique de mère jamaïcaine. Son premier roman, Sourires de loup (White Teeth, 2000) a reçu les Prix Guardian et Whitbread du premier roman. Son œuvre est publiée en France par Gallimard.
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