Francis Ponge, Philippe Sollers, Correspondance 1957-1982, Didier Alexandre, Pauline Flepp (par Philippe Chauché)
Francis Ponge, Philippe Sollers, Correspondance 1957-1982, Didier Alexandre, Pauline Flepp, Gallimard, Coll. Blanche, juin 2023, 528 pages, 32 €
Edition: Gallimard
« De l’aveu de Ponge, la lettre n’est donc parfois qu’un pis-aller au silence, ce « silence-quant-aux-conversations-ou-aux-lettres-banales-qui-les-remplacent », que la rencontre physique peut, elle, accueillir, puisque rue Lhomond les deux amis fument, se taisent, écoutent sur le vieux gramophone les disques de Rameau apportés par Sollers… » (Présentation, Didier Alexandre et Pauline Flepp).
« La journée d’hier fut donc enchantée, abricotée, comme par une très intime réussite » (Philippe Sollers à Francis Ponge, Vendredi 28 février 1958, Ph. Joyaux (extrait).
« Le triomphe final (et prochain je le crois) du Parc est certain. La merveille est d’avoir réussi à faire virer tant de richesse (tant de beaux détails) à l’harmonie. Cela ne se pouvait que par une organisation rigoureuse, fine et cachée » (Francis Ponge à Philippe Sollers, Paris, jeudi 12 octobre 1961 (extrait).
Voici l’histoire d’une amitié littéraire, d’une passion partagée des livres, du style et de la langue française. Ils s’écrivent, ils se rencontrent, ils s’écoutent, et d’ailleurs tout commence par l’écoute, on sait l’importance de l’oreille dans les livres de Philippe Sollers. Philippe Joyaux vient écouter Francis Ponge à l’Alliance Française, nous sommes en mars 1957. La langue des lettres, de leurs livres, de leurs voix lors de leurs rencontres, vont de 1957 à 1982 cristalliser cette amitié, avec ses éclats, ses bonds, ses rebonds, ses silences, ses éloignements. Une amitié solaire et solidaire, Ponge voyant dès le début en Joyaux l’écrivain Sollers qu’il allait devenir, Joyaux/Sollers ne cessant de défendre les livres de son ami, et ceux qui s’annoncent. En 1957, Philippe Joyaux, qui deviendra Philippe Sollers, est un jeune homme de vingt-et-un ans. Il pose les premières phrases d’une œuvre qui va se déployer. Un an plus tard les éditions du Seuils vont publier Une curieuse solitude (1). C’est aussi cette solitude bien curieuse que partagent Ponge et Sollers. En 1957, il est question d’Introduction aux lieux d’aisance, que Francis Ponge aimerait lire dans un numéro de la NRF. Il multiplie les interventions auprès de ceux qui font la revue, en vain, et puis la même année c’est le Défi salué par François Mauriac de la plus belle des manières : Voici donc un garçon d’aujourd’hui, né en 1936. L’auteur du Défi s’appelle Philippe Sollers. J’aurai été le premier à écrire ce nom (2). Les lettres et les livres vont donc circuler entre les deux amis écrivains, L’abricot (3), La Figue, La Rage de l’expression, Le Défi, Une curieuse solitude, Drame, Nombres (4), des livres partagés et un projet qui s’annonce en 1960 : Francis Ponge, dans la Collection Poètes d’aujourd’hui, par Philippe Sollers. Ce livre publié par Seghers en 1963 ne sera réédité qu’en 2001, et Sollers écrit en Avertissement : Ce petit livre est un instrument de travail. Son but n’est que de proposer aux amateurs la curiosité d’une œuvre toujours ouverte, l’une des seules justifiées de notre temps.
A partir de 1972, les lettres de Philippe Sollers se feront rares, on devine une certaine tension, ou pour le moins une absence liée aux positions politiques de Tel Quel, et en retour à celles de Francis Ponge, mais aussi au retard pris par Sollers pour la réédition de « son » Francis Ponge, chez Seghers. Que se sont-ils dit, lorsqu’ils se voyaient ? Nous n’en savons rien, sauf quelques notations de Ponge, ils se parlaient en silence et en musique, leurs livres en témoignent. En 1988, Francis Ponge quitte ce monde terrestre, Sollers le rejoindra en 2023, leur correspondance aujourd’hui éditée nous offre ce dialogue intense entre deux auteurs qui ont marqué leur siècle, la littérature, et la poésie, et qui par leur force, leur originalité, la brillance de leurs écrits ont fait œuvre de transformateurs, d’inspirateurs, de passeurs de langue (5). Un dialogue vivant, de deux grands vivants, qui se poursuit encore secrètement.
Philippe Chauché
(1) Il suffit parfois d’une phrase ou, plus justement, d’un ton, pour créer entre deux êtres une fatalité qu’ils ne pourront plus fuir (Philippe Sollers, Une Curieuse solitude, Le Seuil, 1958).
(2) François Mauriac, Bloc-notes (L’Express, 13-12-1957, publié en annexes de cette correspondance).
(3) Le poème de Francis Ponge paraît dans le numéro 344 des Cahiers du Sud en février 1958, et Philippe Sollers est destinataire d’un exemplaire.
(4) C’est évidemment l’opus poétique le plus important depuis bien longtemps (Francis Ponge, lettre à Philippe Sollers, mai 1968).
(5) Pour s’en convaincre, s’il en était besoin, on peut se plonger avec délectation dans la nouvelle édition de La Fabrique du Pré, Francis Ponge, édition établie par Andrea Guiducci, mis en forme typographique par Pascal Fiévé, Gallimard, 2021.
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