Fièvre des polders, Henri Calet (par Philippe Leuckx)
Fièvre des polders, novembre 2017, 200 pages, 7,50 €
Ecrivain(s): Henri Calet Edition: Gallimard
Troisième roman, publié la première fois en 1939, de l’auteur célébré de La Belle Lurette, des Grandes largeurs et de Le Tout sur le tout, Fièvre des polders est un tableau hallucinant de réalisme, planté en pleine Flandre, dans la région des polders, d’où le titre choisi par l’écrivain franco-belge, né d’un père parisien et d’une mère flamande, et qui passa son adolescence en Belgique occupée (il est né en 1904).
Ward Waterwind et sa famille, Nette, sa femme, ses enfants Odilia et Basilius, vivent de la bière que Ward fabrique, que sa femme sert à L’Ancre, estaminet parmi d’autres, dans une concurrence de tous les instants : il faut affronter ces autres cafés, Le Scaphandrier, par exemple, ou encore Le Perroquet, L’Ange, Le Transvaal…
Ward fait la tournée avec son cher cheval Jules pour servir ses clients en tonneaux, en bouteilles, ne se fait pas toujours payer, encourt bien sûr les reproches de Nette car il est plus porté à boire qu’à recueillir monnaie. Heureusement que l’estaminet lui est bien tenu par sa femme et sa fille…
Les mentalités d’alors, quand il y avait dans ces villages des estaminets toutes les trois maisons, sont très bien restituées et décrites par un romancier qui happe l’âpreté du temps : « On vit du labeur, et les temps sont durs, la concurrence farouche, et l’on en vient facilement aux mains. Même lors des fêtes – rares et alcoolisées –, les processions pour citer une séquence du roman fertile en événements –, les bagarres se multiplient et le venin des relations humaines ressort à l’envi ».
Au-delà de cette description des usages et comportements d’une époque fruste, il y a, et c’est plus audacieux et plus rare, les émois d’une jeunesse, les rapports incestueux dans une maison flamande, Basilius impose à sa sœur sa sexualité naissante.
Calet, comme pour ses descriptions du petit peuple parisien, excelle ici quand il s’agit de brosser la faune qui vient s’abreuver ou se soûler à L’Ancre : l’Adjudant, le Sacristain, le Machiniste, le Franscouillon… Les mœurs, les répliques, les allusions bien senties aux futurs affrontements entre Flamands et Wallons donnent lieu à des moments hauts en couleurs, pleins de verve et de naturalisme. L’écriture de Calet insère aisément des vocables de flamand ou de français estropié dans le fil des conversations.
Le roman tourne à la tragédie et la fin multipliant les malheurs s’abat sur cette famille des polders, hissant les derniers chapitres à un niveau d’exceptionnelle intensité.
Un grand et beau livre.
Philippe Leuckx
- Vu : 1673