Faux-Miroir, Bernard Alteyrac
Faux-Miroir, mai 2018, 215 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Bernard Alteyrac Edition: Gallimard
Peut-on effacer ou à tout le moins atténuer les différences de classe ? C’est à cette question que s’attache Bernard Alteyrac dans son roman Faux-Miroir. Adrien est un paysan de Provence, dur à la tâche, soucieux de la prospérité de sa terre, avec pour tout espoir d’ascension sociale le mariage avec une femme de sa condition. Il est au service du marquis de Villecroze, dont il est l’intendant des terres, ce qui le distingue, un peu, du reste de la paysannerie locale. Henri de Villecroze, le fils du marquis châtelain, a connu dans sa prime enfance Adrien Juvénal, et s’est même lié avec lui, en dépit des différences sociales. Un événement, cependant, a éloigné les deux hommes : une promenade près d’un lac qui s’est très mal terminée et les a dissuadés de se revoir.
Colombe, le village natal d’Adrien, en ce début d’août 14, voit ses enfants partir au front : Adrien, bien sûr, avec ses camarades Lucien Vidal d’Arles, Victor André, Gaspard Brunet, avec lesquels il s’est lié pendant son service. Pourtant, quelque chose de troublant se produit : sur le quai de la gare de départ, Gabrielle, sœur jumelle d’Henri, s’avance vers Adrien, visiblement émue et bouleversée : elle crie, mais ses mots sont couverts par le vacarme du train qui démarre…
« Et surtout il y a ce visage si près du sien, embarrassé du voile que Gabrielle finit par arracher, ses yeux battus par les larmes, son nez un peu rougi, son visage presque laid et sa joue humide contre la sienne, ses lèvres enfin ».
Et c’est sur ce point que le roman se noue : qui est Gabrielle pour Adrien ? Une amie, une secrète amoureuse qui n’ose lui déclarer sa flamme ? Les pensées de Gabrielle sont retranscrites dans un journal, où elle se livre intimement, véridiquement. Nous apprendrons, à la fin du roman, qui est véritablement Gabrielle pour Adrien : c’est son frère car Adrien est en réalité le fils du marquis de Villecroze, le produit d’une liaison avec une servante, Léonie Théric.
Le roman de Bernard Alteyrac décrit très finement ces relations, marquées par les traditions, les appartenances sociales, régionales, le poids des non-dits, des interdits, à l’orée du XXe siècle. La psychologie des personnages est approfondie, très travaillée. L’auteur parvient à organiser ce trio, Adrien, Gabrielle, Henri, jeune homme en recherche d’amitié qui remettra en cause son monde à cause de la guerre. Il revêt également un intérêt historique : la découverte du rôle joué par le 58erégiment d’infanterie d’Avignon, engagé durant l’été 14 dans la bataille de la colline du Faux-Miroir, d’où le titre du roman.
Stéphane Bret
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