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Enfin le royaume, François Cheng (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux 13.05.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Gallimard

Enfin le royaume, Quatrains, février 2019, 224 pages, 7,40 €

Ecrivain(s): François Cheng Edition: Gallimard

Enfin le royaume, François Cheng (par Patrick Devaux)

 

Les poèmes de François Cheng sont autant de raccourcis de temps où s’invitent la permanence et la continuité : « A l’apogée de l’été/ Retient ce qui a été : / Tous les fruits suspendus/ Toute la soif étanchée ».

Avec son éternelle soif de l’attente, quel que soit le moment et quelle que soit l’attente, le poète est à la fois dans l’expectative et l’émerveillement nourri d’optimisme incité par une source initiale coulant en filigrane : « Toi, tu entends le bruit des étoiles qui passent ».

C’est que ce poète de stature a besoin de cet écho multiplié pour se rendre à l’évidence de sa plénitude qu’il compte bien transmettre à autrui : « Tout d’ici t’est offert, offre, toi à ton tour ! ».

Si parfois le crépuscule « s’exténue », c’est pour mieux se rendre à l’évidence d’un matin tournant la page à l’appui de « l’habitable étincelle » puisque « Ici/ Nous avons tracé le trait/ Nous avons laissé vacant/ Afin qu’un jour advienne ».

La grande ouverture d’esprit de cette pensée majeure, presque hors normes, lui permet de voir son âme à travers celles d’autrui. La violence des éléments n’a d’égale que la douceur des aboutissements : « De l’eau naît la flamme/ De la flamme l’air/ Mêlé au pur souffle/ D’une biche endormie ».

Le sens du partage passe, de toute évidence, par un questionnement à autrui « (à moins que cela ne soit à un autre soi-même ou notre “âme”) : “Nuit après nuit si je t’enténèbre/ me passeras-tu ton feu ?” ». Le poète a cette belle conscience d’être lui-même, « car vivre, c’est savoir que tout instant est rayon d’or/Sur un océan de ténèbres, c’est savoir dire merci ». Sans cesse en partage dans l’idée de l’autre, l’auteur sait cependant que « La mort qui rend tout unique est l’unique accès/ A la transformation ». Ce qui paraît évident rend Dieu lui-même impuissant : « Face à elle, on laisse tout/Gardant seul ce que Dieu même ne peut remplacer/L’amour inachevé d’une âme singulière ». Parfois à un tournant de l’idée, semble surgir l’âme de Basho, avec, par exemple : « Un regard/et justifiée toute la vie ».

Subsiste dans cette pensée quelque chose de l’étoile inaccessible.

La dernière partie des quatrains nous ramène à notre condition humaine dans ce qu’elle a parfois de plus tragique avec « déracinés, les humains seuls dans l’ignorance ».

Heureusement, l’Art sauve qui « se découvre don entre des mains porteuses » (« Entre des mains porteuses, tout se découvre don »), avec aussi cette sorte de foi qui soulève des montagnes puisque « Rien ne peut forcer la patience/Des branches en fleurs ».

Style maîtrisé d’un talentueux Académicien dans une poésie équilibrée où « résonnent les pas d’un Dieu en errance ».

 

Patrick Devaux

 


  • Vu : 1970

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A propos de l'écrivain

François Cheng

 

François Cheng, chinois de naissance et français d’adoption, est un sage doublé d’un humaniste. Son existence est l’aboutissement d’un double itinéraire intérieur : assumer son passé et sa culture d’origine, et s’initier à la culture occidentale à travers l’expérience de l’exil. Itinéraire tout à la fois douloureux et exaltant mais tendu chaque jour davantage vers l’unité, c’est-à-dire vers l’Ouvert - l’art étant bien évidemment l’une des voies privilégiées d’accession à cette unité.

 

A propos du rédacteur

Patrick Devaux

 

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Patrick Devaux est né en Belgique sur la frontière avec la France, habite Rixensart, auteur d’une trentaine d’ouvrages auprès d’éditeurs divers en poésie, quelques prix d’édition, 3 romans parus dont 2 aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune; 2 recueils de poésie récents (2016 et 2017) parus aux éditions Le Coudrier ; membre de l’AEB (association des écrivains Belges) et de l’AREAW (association royale des écrivains et artistes de Wallonie), il a aussi de nombreux contacts en France ; il anime une rubrique « mes lectures » sur le site de la revue Vocatif www.moniqueannemarta.fr de Nice depuis 2013 et fréquente de près ou de loin les écrivains du groupe de l’Ecritoire d’Estieugues de Cours la Ville  et de l’association LITTERALES de Brest ; publie aussi dans diverses revues de poésie. Fréquente aussi les réseaux sociaux, faisant ainsi connaitre la poésie d’auteurs moins connus ou disparus.