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Embruns, Bernard Pignero

Ecrit par Martine L. Petauton 14.01.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Embruns, Encretoile, novembre 2015, 162 pages, 17 €

Ecrivain(s): Bernard Pignero

Embruns, Bernard Pignero

 

Embruns… entre brume et bruine. Océan dans les yeux et bien plus sur les lèvres. Embruns, ligne floutée de partage entre rêve et réalité, douleur et presque plaisir, et bien sûr, vie et mort… Accessoirement, nom aussi que porte le Centre d’Aide par le Travail du livre. Beau titre, en tous cas, qu’illustre la magnifique photo de couverture, pour le dernier opus-réflexion de B. Pignero. Livre fort, comme d’habitude avec cet auteur, plus philosophique pour autant que les autres.

Livre qu’on n’écrit pas à vingt ans – n’est-ce-pas ? Porteur de pas mal de gens, paysages, tourments, et pourquoi pas, choses. Livre-besace, mais allégeant son poids à chaque pas-page. Parce qu’itinéraire, et pas n’importe lequel.

Quelque part, sur l’Atlantique, en province (entre le bas de Bordeaux et les Landes, dira-t-on), dans des lieux où Chabrol posait parfois ses films. Eloi, la quarantaine – maladie orpheline, suffisamment grave pour borner déjà sa courte et douloureuse vie – fait le tour de sa chambre, en attendant « l’angoisse crépusculaire » que des lignes particulièrement fortes de Pignero nous donnent à ressentir, à vivre, à palper : « …comme si tous les enfants souffraient tous les soirs d’un mal qui leur noue les nerfs et les muscles et les tord dans la poitrine en un écheveau inextricable ».

Comment avance-t-on dans ce genre de handicap à porter ? Simple question, question essentielle. Soi, les autres qui vous entourent, la mère qui vous nourrissait à la cuillère, de semoule, tantôt sucrée, tantôt salée – métaphore d’existence assistée. Le père qui se fait vieux, revenu d’ailleurs ; si peu d’amis – enfin, pas ceux qu’ont les autres. Au point qu’à certains moments – Eloi va chaque jour en bord de mer – la conversation avec un chat errant – remarquable scène – tient lieu de rencontre, et interroge ; qui d’entre nous connaît la langue des chats, surtout errants. Des coups de cœur, pourtant – comme tout le monde ! Tiens donc ! et même une sexualité… Et pan dans les préjugés. Une amitié, belle comme une photo de Doisneau, née sur un banc d’hiver, se fichant pas mal des différences d’âge… C’est de cela, d’abord, qu’est cousu le livre d’Eloi – car, c’est le sien : sa trajectoire et la nôtre ; à côté, puis, bizarrement et pas tout le temps, coupant la nôtre, d’un petit bruit discret comme s’il toquait à la porte. Mais, pour tant d’entre nous, le handicap renvoie à l’incapacité globalisante ; en bref, rien ne marche. Eloi, dans son CAT, peaufine des brosses de tous poils, jusqu’au moment où ses compétences intellectuelles tirant sur le surdoué, font de lui un des plus hauts cadres du secteur. Or, ce dérangement des représentations des gens « ordinaires »  impose – paix sociale à sa façon – le silence sur la chose… que voulez-vous, l’homme est multiple, valide ou handicapé. La déclinaison, fine et subtile, du « valoir quelque chose » habite le livre, et ce n’est pas là le moindre de ses appâts.

Eloi, évidemment, est très fort en rêves, en projections d’imaginaire. Et son histoire personnelle et familiale, côté maternel, lui donne un terreau d’exception – avec quelques escapades du reste, du côté de la psycho généalogie. Famille à cheval, sur chez nous et l’Argentine ; médium étrange de la langue, « Tout a mal ? » disait sa mère. Lien vivant et bien réel entre ces deux rives, le demi-frère, Pedro, le diplomate qui saute partout, marche à pas de géant, arpente le vaste monde, lui : « mon ouverture au monde… grâce à lui, je vivais presque normalement ». Transfuge, va et vient ; mouvements de balancier du livre. Mais qu’est-ce que vivre normalement ? Et si c’était justement le contraire ? B. Pignero ne cesse de faire sauter la crêpe, et « son » Eloi de nous tenir de courtes et profondes recettes de philosophie, donc de façons de – mieux – vivre. Ainsi, de la vie, de la mort ; mazette ! « la vie est un accident, une erreur, un contretemps dans l’immense immobilité du temps. Luisa savait que son fils était une erreur dans l’erreur, une exception dans l’exception, puisqu’il n’aurait pas dû vivre… et maintenant il continuait à se convaincre lui-même d’entretenir la minuscule combustion de sa vie… ».

Viatique pour tous les abîmés, certes, et aussi pour tous les moments de tout un chacun, à l’heure où l’on flanche ; un bien beau livre humaniste, on l’aura compris. Planche, branche, que cet Eloi magnifique, marchant sa drôle de vie…

Embruns ; bruine, brume, et… soleil, bien sûr !

 

Martine L Petauton

 

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A propos de l'écrivain

Bernard Pignero

 

Après une carrière professionnelle de cadre dans le négoce sidérurgique puis l’industrie chimique, ancien magistrat consulaire, je consacre ma retraite à mes trois enfants adoptés au Mali et à divers bénévolats associatifs autour du livre, de la lecture et de l’édition.

Sous le nom de Bernard Pignero, j’ai publié un roman chez Gallimard (Les mêmes étoiles collection blanche), des nouvelles chez HB, des recueils poétiques et des articles critiques sur la peinture. En 2011 les éditions des Vanneaux ont publié mon roman sur le monde de l’opéra intitulé Mélomane. Un livre sur mes aïeux picards sera publié à l’automne par les éditions de la Vague Verte.

Je vis en Picardie depuis trois ans après quarante ans dans le Gard. J’ai soixante-cinq ans.

 


A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)