Dors ton sommeil de brute, Carole Martinez (par Anne Morin)
Dors ton sommeil de brute, Carole Martinez, Gallimard, août 2024, 393 pages, 22 €
Edition: Gallimard
Il y a le chant, hypnotique, berceuse, incantation, psalmodie, une voix qui fait sens, à laquelle il faut donner suite, et prise… suivre l’enchantement, être prêt à y répondre, c’est le rôle confié aux enfants. Être prêt à y répondre, déchiffrer, défricher ce que la nature espère… ? que l’on y reconnaîtra, que l’on se reconnaîtra, c’est le rôle des adultes.
Un géant une pierre à la main, un homme des bois, des marais, de la nature, un innocent. Un monde entre ciel et terre, entre arbres et forêt, un monde de conte de fées, tel qu’il pouvait être avant.
Avant la chute, avant l’avancée, la marche forcée du progrès, contre nature.
Le sommeil signifiant, le retour arrière, le rêve, le fil de la vie, la préservation. Le chant émerge comme un fil à suivre, passer et repasser dans le chas.
Que se passe-t-il qui ébranle ainsi la planète entière ? L’homme serait-il allé trop loin ? La terre, exsangue, se métamorphose, il faut laisser parler la création et seuls les enfants peuvent être porteurs, donnant vie à l’immense protestation de la nature.
Les songes des enfants gavés de contes où tout est en attente, où le bien et le mal se côtoient, où ogres et bons géants, animaux et nature peuvent indifféremment interférer sont la seule ressource possible pour l’expression du chant du monde.
Ils incarnent, ils investissent, traduisent les douleurs de la terre qui les porte, qui porte toute l’humanité.
Le cri et les avatars interviennent, surviennent par les enfants, sans les toucher. Au dernier moment, revenant à eux, ils sortent intacts et sans souvenir. Leur sommeil est la porte d’entrée, l’accès à la vraie vie.
La vie fait mal, la terre s’affole, le cri des enfants réveillera-t-il la brute, les brutes ?
Le rêve traverse les apparences, l’alarme traverse les enfants du monde que l’on ne peut réveiller et ce chant qui les porte là où les parents, en détresse, veulent les empêcher d’aller pour tenter de les protéger du propre endormissement de leur conscience, de leur propre éveil.
Les multiples allusions au conte : comment reconnaître un chemin, le fil détricotant et retricotant le fil de la vie, le bon géant dont on ignore le rôle et la destinée, les animaux très particuliers, la voix qui enchante, et les rapprochements avec les plaies de la bible appliquées au monde contemporain, comme autant de pistes à suivre… Et le rôle de la mère, celle qui enfante, transmet, traverse la vie, et Serge, le nom du géant de la fable qui signifie « servir » ?
Anne Morin
Carole Martinez déploie dans ce cinquième roman un univers merveilleux qui n’appartient qu’à elle. Elle est l’auteur des romans Le cœur cousu, qui a reçu seize prix littéraires, et du Domaine des Murmures, Prix Goncourt des lycéens 2011.
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