Dieu est rouge, Liao Yiwu
Dieu est rouge, Books Edition Les Moutons Noirs, février 2015, traduit du chinois par Hervé Denès et Li Ru, 462 pages, 24 €
Ecrivain(s): Liao YiwuUn pavé ! Un pavé dans la grande mare de Chine. Liao Yiwu nous livre ici le fruit d’un long travail, difficile aussi, celui de réunir autant de témoignages que possible de cette « histoire vraie de la survie et de l’essor du Christianisme en Chine, de Mao à Xi Ping ». Il a parcouru la Chine pour rencontrer des hommes, des femmes, souvent très âgés, mais d’autres plus jeunes aussi, qui répondent à ses questions dans des entretiens rapportés ici, et entrecoupés de « préludes », qui permettent d’en comprendre les contextes. Beaucoup de noms vont défiler, on s’y perd, des lieux aussi, où morts et vivants se côtoient dans un effort de mémoire, qu’on ne lira probablement pas de la même façon, si l’on est croyant ou pas, mais toujours est-il qu’à travers cette quête assez singulière, Liao Yiwu, en toute humilité, et dans un style qui lui est propre, simple et profond, nous livre un pan très peu connu, car aujourd’hui encore tabou, de l’Histoire contemporaine chinoise, dans toute sa violence, avec ses drames et privations quasi ininterrompus. Avoir des témoignages directs, de personne à personne, des histoires individuelles aux destins souvent incroyables, est un trésor inestimable, car aujourd’hui encore il est extrêmement périlleux de fouiller dans ce récent passé et révéler des vérités. L’Histoire non officielle, non autorisée par le régime. L’auteur – qui a connu lui-même l’incarcération pour ses opinions – a dû souvent prendre de grandes précautions pour recueillir toutes ces confidences.
Dieu est rouge car la religion chrétienne en Chine a pris très tôt une couleur particulière, rouge du régime auquel elle a dû survivre dans la clandestinité, qui tantôt a tenté de l’éradiquer, tantôt de l’absorber, la couleur rouge d’une ferveur exacerbée par les persécutions, le rouge du sang versé lors d’innombrables tortures et exécutions, aussi la symbolique du martyr a été vécue par bon nombre de ces personnes d’une façon non métaphorique, mais bien littéralement dans leur propre chair. Les vies de bon nombre d’entre elles s’apparentent à de véritables chemins de croix. On n’adhèrera pas forcément mais on ne pourra qu’admirer la force de conviction, le courage, l’abnégation et le dévouement que la foi chrétienne a donné à ces personnes et qui parfois semble avoir opéré ce qu’on pourrait appeler des miracles. Il est évident que tous ces témoignages sont aussi, même indirectement, une dénonciation des dérives et cruauté du régime communiste, surtout pendant la dite Révolution Culturelle, mais on y verra aussi plus loin que ça, comment les mauvaises choses – et l’Histoire en est pleine – en entraînent des pires.
Dieu est rouge est un livre majeur pour qui veut appréhender l’Histoire contemporaine de la Chine, il contient une masse d’informations de première main assez phénoménale, parfois c’est vraiment atroce, et d’une façon plus large cela ouvre un questionnement fondamental sur l’aide qu’une spiritualité bien ancrée peut apporter dans les épreuves. Un défi que le bouddhisme et le taoïsme, qui étaient en place bien avant l’arrivée des missionnaires chrétiens, semblent avoir eu du mal à relever, quand le communisme a eu la prétention de répondre à toutes les problématiques humaines en balayant d’un coup et sans discernement des savoirs millénaires. Un livre où l’humain est donc au premier plan, dans toute sa déchirure entre extrême élévation et extrême bassesse, et dans lequel on peut distinguer comme un vague espoir, quelque chose qui transcenderait politique et religion, et c’est cela sans doute que l’auteur, ni totalement croyant, ni totalement sceptique, mais profondément sensible et ayant soif de vérité, a voulu nous transmettre. Quelque chose qui fait qu’on pourrait croire encore… en l’Homme. Malgré un tout qui demeure d’une bêtise effroyable.
Cathy Garcia
- Vu : 3422