Des lézards, des liqueurs, Joël Bastard (par Philippe Leuckx)
Des lézards, des liqueurs, juin 2018, 176 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Joël Bastard Edition: GallimardUn titre à la Jacques Izoard (tissé d’appositions), une composition en dix-huit sections, une volonté d’inscrire dans le poème sa fabrique (merci Ponge), des injonctions au lecteur, ou à soi écrivant, voilà des textes qui déconcertent.
Le désir d’écrire vient de pousser la porte, tant mieux, nous sommes nus
…
La surprise d’être un homme commença au berceau.
…
Nous peinons aujourd’hui de ne pas être volants.
…
Un homme tout à la joie d’exister et de vivre la chaleur, ses suées, vole un fruit au frelon.
…
La ville, les arbres et les oiseaux occupèrent ses poumons.
…
L’homme ouvrait enfin les yeux, ses poumons, son mystère.
Le sens des aphorismes, quelques zeugmes bien sentis, des pensées métaphysiques offrent la meilleure part de ce livre assez braque, multipliant les verbes être, faire, avoir jusqu’à la nausée (des dizaines !) : on m’a toujours appris qu’en matière de style, il fallait éviter ces termes passe-partout. En poésie, on s’en passe allègrement. Avons-nous ici des effets de style qui permettraient d’en jouer ? Toujours est-il qu’on préfère de loin quand l’auteur oublie ces chevilles :
Un lézard, langue pendue au balcon de la mer, lape l’enfance, les légendes incontrôlables de l’église torturée.
La page 133 nous enjoint toutefois à relire le livre à la lumière de l’incipit du point II :
Il utilise toujours les mêmes ingrédients pour tambouiller son plat de résistance. Quelques comètes délayées dans l’espace. Du feuillage, des oiseaux, des passages crépusculaires, une vague, un nuage de proximité, des tunnels, là-bas la clarté. Avançons la structure !
Et donc le lecteur devrait si j’ai bien compris pour bien comprendre s’étayer de préceptes d’écriture, à suivre à la lettre ?
Mais devant des phrases telles que : Les collègues sont au balcon en bas de la prairie, l’effet d’oxymore, voulu ou gratuit, suscite l’agacement.
Pourtant, il y a de la « joie à aimer sans retour » ; certains vers enchantent : « Prenez cette grâce, elle est seule,/ consentante ».
Je le sais, il n’y a rien à comprendre : « Il y a des lézards, des liqueurs et du sens ».
« Quelqu’un frappe à la porte, c’est un livre, baissons les yeux ! (p.89) m’a fait hurler de rire. Je ne devrais pas. Les poètes sont si sérieux !
Philippe Leuckx
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