Derain, un Fauve pas ordinaire, Patrice Bachelard
Derain Un fauve pas ordinaire, septembre 2017, 128 pages, 15,30 €
Ecrivain(s): Patrice Bachelard Edition: Gallimard
Cette vie de Derain est un roman, tant on est porté par les divers épisodes qui en font le prix, et parfois aussi ont nourri certaines polémiques. En effet, il n’est pas de tout repos cet itinéraire d’un génie fauviste des années 1905-1906, très vite reconverti en amateur éclairé des classiques de tous bords, à commencer par Raphaël, puis beaucoup d’autres, jusqu’à Corot, Courbet.
Pourtant, pour cet artiste qui lâche « Un art n’a pas de théorie », il en allait tout autrement puisqu’il révolutionna avec quelques autres (Matisse, Marquet, Vlaminck, Van Dongen, Friesz) l’usage de la couleur, cette fameuse période fauviste, l’un des tournants de l’art moderne avant cubisme, futurisme… Chatou, Collioure nourrissent un Derain singulièrement audacieux, peut-être bien le plus sauvage coloriste du groupe. Il n’en reste pas là, puisque, dès ces années-là, il fonce à Londres pour se goinfrer de Turner et d’autres, tant sa gourmandise de nouveauté est grande.
Les années 10 confortent la place immense du génie de la couleur. Les marchands de tableaux se l’arrachent et il jouit à Montmartre d’un réseau, poètes et autres peintres, parmi lesquels Apollinaire, Picasso, et son ami de toujours Maurice Vlaminck. Apollinaire ne tarit pas d’éloges sur son ami, passé par un cubisme « singulier » et qui très vite va trouver une voie personnelle, loin de Paris, après les Ballets russes de Balanchine, pour un retour très marqué à la tradition classique et ses portraits. Si certains s’en moquent (Carolus-Derain, dit-on de lui en référence au portraitiste mondain, vélasquezien et sombre, Carolus-Duran), André Salmon, dès 1920, dit de lui qu’il est assurément « le plus grand peintre français ». A voir les œuvres qu’il propose, en dehors de toute mode, et dans un « retrait » volontaire (Chailly en forêt de Fontainebleau, puis Chambourcy), on n’est pas loin de le penser : la rigueur, la beauté des œuvres (portrait de La nièce du peintre et autres Boa noir ou Le nu au rideau vert, Arlequin et Pierrot…) manifestent un modelé, une maîtrise des couleurs sombres et des arrière-plans étonnants.
Les distances prises avec Kahnweiler (marchand attitré), la mort du marchand Paul Guillaume, les années de guerre, éloignent Derain et cependant ne le coupent pas totalement du monde, puisqu’il ne cesse de collaborer jusqu’aux débuts des années cinquante à des projets novateurs tel Barbier de Sévillepour lequel il dessine des couleurs franches et propose une palette claire, presque enjouée…
André Derain meurt en 1954. Il avait soixante-quatorze ans, vieilli prématurément, alourdi, parfois absent au monde.
Le livre de Bachelard, riche iconographiquement, restitue le parcours fécond d’un artiste fidèle à sa ligne, qui s’est nourri à de nombreuses sources sans jamais se renier, la preuve, ces autoportraits de la fin (1953-1954) rugueux et justes.
Philippe Leuckx
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