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De l’avantage d’être en vie, Mathieu Terence

Ecrit par Matthieu Gosztola 12.01.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Gallimard

De l’avantage d’être en vie, 128 pages, avril 2017, 12 €

Ecrivain(s): Mathieu Terence Edition: Gallimard

De l’avantage d’être en vie, Mathieu Terence

 

Mathieu Terence écrivait dans Petit éloge de la joie (Folio, 2011) : « La joie n’est pas volontaire. Elle ne se décide pas, pas plus qu’elle ne se décrète. Il faut fuir comme la peste ceux qui en vendraient la recette. En revanche, la joie exige un climat favorable : un état d’esprit pareil à un état de grâce. Le climat favorable se favorise ».

Dans la lignée d’Ezra Pound, qui lance : « Que l’amour m’apprenne à composer un chant qui ne soit ni second, ni troisième, mais premier à libérer le cœur aigri », De l’avantage d’être en vie nous invite, fragment après fragment, à cet « état d’esprit pareil à un état de grâce ».

Le programme de cet essai peut se résumer ainsi : « Une sagesse est à opposer au nihilisme. Une sagesse échappant à ses prédicats morbides, à son hypnose consumériste et à sa dangereuse frustration. […] On peut cultiver son second souffle et rompre son isolement en partageant la joie d’une vie délivrée du conditionnement mélancolique, une vie véridique. On peut célébrer l’avantage d’être en vie ».

Morceaux choisis (avec bonheur) :

 

L’alpiniste, une fois passé la zone de survie, au-dessus des 8000 mètres, laisse à son corps le soin de prendre la relève de la volonté en récitant ce qu’il lui a appris au niveau de la mer. J’écris à l’inverse de cet alpiniste, en laissant à mon esprit le soin d’exprimer ce que mon corps perçoit de l’univers qui le dépasse. Et pour ne pas me perdre en vertiges, je songe à ce qu’il y a d’amusant dans cette ascension intérieure.

Les esprits chagrins se trouvent mal. Ils vous regardent mi-navrés mi-apeurés, si vous leur dites : « Allez vers Vivaldi, allez vers Rubens, allez vers Prince, allez vers Novalis. Allez aussi vers l’art de vivre des pays latins, des Asies du Sud-Est, de toutes les îles. Allez, allez, vous n’en reviendrez pas. Surtout si ces dimensions-là ne sont plus à trouver qu’en vous ».

 

La vie est un délicieux nectar et doit être dégustée selon le besoin qu’elle a de l’être. Pour certains, c’est insuffisant. Il manque toujours quelque chose au mélancolique. Il manque le paradis à Adam, papa-maman à l’esprit chagrin, l’objet du désir au désenchanté en circulation. Il ne manque rien à celui qui participe à une aventure sans commencement ni fin, à un tout à la fois unique et multiple, à un unique infini. La tâche la plus exigeante est de le concevoir sans commencement. Ensuite il n’y a plus de fin qui tienne. La lumière n’a pas de source si elle est la source. Elles n’ont pas de limite, les vies que la nature inspire. L’apprécier ne suffit pas, il faut se sentir contribuer à sa force.

Toute contemplation fait du paysage notre habitant. L’horizon est large de tout son matin, d’une ampleur murmurée. Écoutons bien les feuillages pour entendre l’eau qui roule. Écoutons l’eau qui roule pour entendre l’oiseau battre des ailes et le clapot sous la barque. Écoutons le tonnerre pour le silence mat qui annonce la pluie.

 

La meilleure preuve de la grandeur de la vie est celle que l’on tire de la contemplation de ses plus modestes manifestations.

 

Mon esprit est si léger que ses pensées sont comme des ballons qui l’envolent. S’il se pose, c’est pour choisir les vents dont il fera son voyage. Je sens partout la paix qui témoigne des harmonies secrètes. Celui qui a perdu le droit chemin n’est pas celui qui ne sait plus aller au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest. C’est celui qui ne sait plus s’élever vers le sommet crucial, rejoindre son centre. Il y a une idée comme celle-là dans le livre d’Henry Corbin L’homme de lumière dans le soufisme iranien. Celui ou celle de l’altitude n’est plus ni de la nuit ni du jour. Il ou elle évolue en pleine lumière égale, une fois franchie la cime de ce pôle intérieur que le Récit de l’exil occidental nomme climat de l’âme mais que l’on peut aussi appeler accord parfait.

Les occasions ne manquent pas de se réjouir de se sentir seul au monde. Tout à l’heure par exemple, au soleil, au moment où le silence de l’océan faisait le bruit de mon passage sur terre. Ô solitude my sweetest choice. Splendide culot de Purcell.

L’un des mérites de L’avantage d’être en vie est de nous montrer, de nous prouver combien les œuvres d’art sont nourriture terrestre, morceaux de temps délivré de son cours, morceaux très concrets que l’on peut épouser, c’est-à-dire marier au chantonnement (souvent – malheureusement – diffus) de nos jours, de nos nuits, dans le miracle de l’instant non pas courant vers l’infini, mais à jamais suspendu en nous comme infini.

 

Mathieu Terence se nourrit ainsi de tout ce qui, dans l’art, est sources et reflets de sources – aiguisés comme les arêtes de pierres fendues au terme d’un long voyage depuis les cimes.

 

Ainsi en est-il de la poésie.

Keats (dans Endymion) : « Toute beauté est une joie qui demeure ».

Segalen, dans une lettre à Manceron : « Je t’ai dit avoir été heureux en Polynésie ; c’est violemment vrai. Pendant deux ans j’ai mal dormi de joie, j’ai eu des réveils à pleurer d’ivresse du jour qui montait ».

 

Ainsi en est-il de la musique.

Dans la cantate 148, Bach sacre Éros à la faveur d’un verset chanté en sol majeur. Deux hautbois d’amour et un hautbois de chasse tressent un lien uni : « Ma bouche et mon cœur te sont ouverts ».

Mozart : « Je cherche les notes qui s’aiment ». Et Miles Davis, deux siècles plus tard, en sortant de scène : « L’amour de ma vie ? Je viens de le faire ».

 

Ainsi en est-il – dans une moindre mesure, certes – du cinéma.

Dans le film de Bergman Vers la joie, Soderby, musicien, joue « L’Hymne à la joie » alors que sa femme vient de mourir. Voix off : « Il ressent une joie immense, pas celle qui se traduit par un rire ou qui annonce “je suis heureux”, mais une joie débordante, au-delà de la douleur et du chagrin infini ».

 

À votre tour, en parcourant La Cause littéraire, choisissez des nourritures terrestres, de la magie concrète, et, suivant la formulation de Mathieu Terence dans son récent roman Le Talisman (Grasset, 2016), « à la place de ce que l’on perd avec les années, [mettez] un ciel rapide » ; « à la place du monde, [mettez] la vie et ce sera [votre] vie ».

 

Matthieu Gosztola

 


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A propos de l'écrivain

Mathieu Terence

 

Essayiste, nouvelliste, poète et romancier français, Mathieu Terence se consacre très tôt à l’écriture. Il publie en 1996 un essai sur la mélancolie des palaces, Palace Forever, puis, un an plus tard, son premier roman, Fiasco, aux éditions Phébus. Dans le Journal d’un cœur sec (Phébus), il se glisse dans la peau de Lord Henry Wotton, le mentor de Dorian Gray, proposant une sorte de suite au roman d’Oscar Wilde. Ce titre lui vaut de remporter le prix François Mauriac. En 2002, Mathieu Terence reçoit le prix de la nouvelle de l’Académie française pour Les Filles de l’ombre (Phébus également). Il publie en 2004 un recueil de poèmes chez Leo Scheer (Aux dimensions du monde), avant de revenir au roman, publiant alors chez Gallimard. Aujourd’hui, il semble avoir délaissé la forme romanesque pour se consacrer à celle de l’essai.

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com