Dans les méandres des saisons, Richard Rognet
Dans les méandres des saisons, 14,50 €
Ecrivain(s): Richard Rognet Edition: Gallimard
Le premier volet du recueil de Richard Rognet, Dans les méandres des saisons, se place, dès le sonnet liminaire, sous la protection des pierres et de leur silence annonçant d’emblée une réflexion sur le temps qui marque l’ensemble du texte. En effet quand le regard n’est pas précis mais quand le mot, lui, l’est trop et nuit à la plénitude des choses, oxymore à l’image de celui qui se formule ici tout au long du texte entre lumière et mort, tout se délite. Ainsi, à la tombée de la nuit, lorsque la mort se met à vivre au point qu’elle « boit le sang » le destin menace d’autant que l’automne arrive. C’est que la fin de l’été rappelle un départ vécu et qu’intervient alors une présence féminine à l’état de souvenir et qui favorise une apostrophe à l’autre. Une aussi à soi-même : « Qui donc es-tu, enfant secret / dans la nuit de / ma mémoire ? » au moment où la marche se fait rédemptrice et où se produit un dédoublement. Malheureusement, avoue le poète narrateur, « Je passe près de moi sans reconnaître qui je / fus ». Cette dialectique présence-absence est prégnante dans l’évocation même des « chers disparus » comme le père dont « l’ombre revient… dans l’inconnu d’autres présences ». Il y a aussi « une femme courbée sur des / fleurs un peu lasses », et avec les choses du tiroir qu’il ne faut pas déranger, le « carnet d’adresses » qui garde les morts en mémoire.
Le style lui-même, par ses répétitions, soutient ce parti pris de récurrences. Pas de rimes pour ses sonnets à la conception contemporaine mais des enjambements en grand nombre qui trahissent les groupes syntaxiques pour un rythme ample et particulièrement délicat. Richard Rognet renouvelle, jusque dans son mètre et dans sa strophe, cette forme fixe dont 2014 se veut l’année mais il le fait dans une simplicité qui trouve son origine justement dans les souvenirs sans cesse évoqués au cours de sa délicate promenade.
Malgré « la cohue des souvenirs », la mémoire se fait déficiente : tout « arrive d’un ailleurs qui / ne (lui) appartient plus », le temps n’est plus maîtrisé. Et pire, sans doute, le présent « n’est que le miroir infidèle de l’autrefois / profond ». Mais la nature et ses êtres vivants sont là pour consoler l’homme comme le papillon qui « se souvient de (sa) nuit » ou comme « les arbres, les insectes, les herbes vives d’autrefois » qui « reviennent (le) nommer avec ceux d’aujourd’hui » et le rendent vivant. Sans oublier cette neige rassurante, qui, dans la chute d’un vers formé comme bien d’autres d’un seul hémistiche, fait partie « de ce qui ne meurt pas ». Ainsi l’histoire qu’il écrit autant que ses larmes elles-mêmes fusionnent avec les éléments de la nature, sa compagne, au point que le doute (« entre quel printemps et quel hiver ? » faut-il que celui qui « tourne en rond » cherche les mots) s’efface dans un sursaut qui se traduit par une apostrophe, cette fois à lui-même : « Richard, je t’entends dire des poèmes, / c’est la nuit dissipée, c’est le jour / délivré, le temps presque visible au cœur / de l’infini ». Cette victoire fait écho à la certitude exaltée de la première partie de l’opus : « Non, / tu n’en finiras pas avec les roses et les sapins ». Après l’espérance, c’est enfin la paix retrouvée pour celui qui, dans sa conversation avec le lecteur, affirme « qu’il ne faut pas craindre de quitter sa / maison ».
C’est justement la présence de la mère, au moment du retour chez soi, que le deuxième volet célèbre. Le poète y parle, comme on le fait rarement, de la mort inattendue et des derniers instants de celle qu’il chérissait. L’évocation de détails réalistes et de la souffrance originelle – « j’ai mal à ma naissance» – s’accompagne de celle des choses immuables de la nature : « Les bouleaux égrenaient / leurs prunelles dorées. Les platanes lâchaient comme des mains ouvertes, l’or de leurs feuilles, / qui chatouillait l’herbe assoupie ». Dans un style classique et froid comme la mort court un récit dont les chutes fréquentes et ménagées soigneusement provoquent cependant sans cesse l’émotion : « Bien sûr qu’on aura les roses espérées » ou « Et voilà qu’un pétale, apporté par la bise, tombe sur elle, doucement ».
Comme le cri de l’endeuillé fait écho au cri de sa naissance, les thèmes, ici, font écho à ceux de la première partie. De même celui de la mémoire et du poids des souvenirs qu’il faut éviter de porter puisque la vie continue rythmée par les événements parfois infimes qui rappellent la disparue : « Je continue à recevoir les catalogues que tu / aimais feuilleter ».
Quand se réveille la douleur du poète, celui-ci supplie « les présences de la nuit » d’exaucer son désir le plus humble : « lui offrir ce léger bouquet d’étoiles ». Cette même délicatesse se retrouve dans le salut à une passante – topos transposé – qui lui rappelle sa mère.
Puis tandis que la mort se confond avec la nature « qui chasse le chagrin qui rôde » – elle est « une / rose qui s’élance avec des fragments / de joie » – le récit s’empare de moments « éphémères », comme la vue d’un nuage, pour les faire vivre « au détour d’une phrase imparfaite » et poétise également des actes symboliques et superbes comme l’agrandissement de la photo des parents à « un peu plus de vingt / ans ».
A la toute fin du livre, la mort encore, si elle n’est pas apprivoisée, quand la souffrance et l’hommage, dans la maison où le fils en peine « traîne » une nuit, « envers d’une nuit beaucoup plus noire », prennent leurs plus beaux accents, cette mort donc devient magnifiquement « la gloire de l’absence ».
Et dans l’excipit, au moment où le poète entre à la mairie pour demander l’acte de mariage de ses parents, le village s’anime enfin dans une dernière chute joyeuse et pressentie. Il reste au lecteur à remercier Richard Rognet pour ce message d’espoir.
France Burghelle Rey
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