Comme une lettre, Mireille Gansel
Comme une lettre, La Coopérative, mai 2017, 144 pages, 16 €
Ecrivain(s): Mireille Gansel
Comment réduire des impressions de lecture, et cela de façon aussi peu cérébrale que possible, mais plutôt ressenties de l’intérieur, à l’image d’un chemin personnel que l’on fait en lisant de la poésie, sans en trahir le secret ? Cette question est bien vive ici, au sujet du recueil que Mireille Gansel publie ce mois-ci. Car il offre à la fois un voyage physique – Italie, Allemagne, mais aussi Paris ou Lyon – et nous fait partager un spleen. Et à travers lui, ce sentiment si particulier que chacun éprouve à sa manière sur l’hiver et ses lumières froides et blanches. Et là est la poésie justement, dans ce dénuement, dans ces mots éthérés, dans le rien, dans l’aube décharnée de janvier, principe intellectuel de la poésie qui raréfie les signes, qui les rend à eux-mêmes comme simple élément verbal, mais d’une telle simplicité hivernale, que la poésie naît et se développe, fait sens, épaissit le feuilletage de la signification, tout en se déchargeant des lourdeurs et des artifices brillants de l’été, par exemple, et de sa nature prospère.
Et puis dans ce recueil l’on est vite confronté à des ambiances japonisantes, et cela dès le premier poème, qui fait un peu songer aux belles pages du Pavillon d’or de Mishima, par exemple quant aux formes rhétoriques qu’emprunte la poétesse, qui n’hésite pas à se frotter à ce dur et patient travail du haïku. Une poésie qui danse entre les choses, trouble en quelque sorte, qui vaque dans les signes raréfiés. Poésie hivernale, ainsi, qui, avec des mots très simples, décrit un univers entier. On distingue d’ailleurs cette sorte de brutalité des lumières de février, les pierres, l’habitation humaine dans sa nudité. Et cela avec la joie triste, si l’on peut dire, du mystère de notre existence, de la vie et du temps avec leur caractère implacable.
la petite route du paradou
et les fleurs de l’amandier
dans la beauté de ce matin
et c’était encore l’hiver
L’on trouve encore des passages que l’on pourrait qualifier de religieux, en tous cas qui confinent au sacré, moment de célébration du shabbat, idée d’une fête éclairée d’une simple bougie, une lumière tremblante, comme l’est peut-être la foi, et sa fragilité émotive.
Pour conclure cette courte note, il faut quand même citer un exemple précis de l’art poétique de Mireille Gansel, où surgissent des moments à la Tarkovski, le cinéaste, lui qui, avec une habileté sans pareille, saisit le temps dans la simple image d’un insecte pris dans la glue d’un verre de liqueur, rapprochant ainsi la joie de vivre à la morbidité de notre existence.
il y a des maisons
qui sont un havre
une manière de poser une pomme
sur une assiette avec un couteau
quelques fleurs au bord de la nuit
offrir un verre d’eau
ne pas poser de question
franchir le seuil
ne pas être un étranger
Oui, il s’agit de ce spleen de Paris, que l’on reconnaît dans la luminescence grise et métallique et cette angoisse spleenétique que nous a si bien transmis Baudelaire au milieu de ses Petits poèmes en prosepar exemple.
petit square marie-trintignant
ils se sont amusés
comme des fées
les jardiniers du quartier
qui ont planté en rondes bleues
jacinthes apprivoisées
et tulipes feu
Didier Ayres
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