Claude Lanzmann. Un voyant dans le siècle
Juliette Simont (dir.), Claude Lanzmann. Un voyant dans le siècle, 2017, 328 pages, 22 €.
Edition: Gallimard
Hommages à Lanzmann
Voilà plus de 30 ans, Claude Lanzmann dévoilait Shoah, le magistral documentaire sur l'extermination des Juifs par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, film qu’il avait mis plus d’une dizaine d’années à réaliser. Depuis, il est devenu une figure singulière du champ intellectuel français. A la fois cinéaste, journaliste, écrivain, directeur de revue, il a, selon les mots de Juliette Simont qui dirige ce collectif et en signe l’avant-propos, « changé notre rapport au monde et à la pensée » et « redistribué, éthiquement, intellectuellement, artistiquement, le possible et l’impossible ». C’est donc parce qu’il a marqué son temps, qu’il a éclairé l’Histoire – et l’éclaire encore – comme peu ont su le faire avant lui, parce qu’il s’est engagé toute son œuvre et sa vie durant que son adjointe à la direction des Temps modernes a décidé de donner la parole à ceux qui souhaitaient, sinon lui rendre hommage, du moins évoquer son travail et sa personne. Il en résulte un très bel ensemble, une galerie de portraits, de lettres, d’analyses et d’essais qui éclairent – sous toutes ses facettes – l’œuvre et la personnalité de Claude Lanzmann.
Le recueil, qui se compose de six parties (« Le cinéma, le cinéaste, l’image », « Pour comprendre Shoah », « Autour de Shoah », « Essais », « Portraits, autoportrait » et « Document »), est d’autant plus riche que les contributeurs viennent d’univers différents. Chacun approche le travail de Lanzmann avec ses propres « outils ». L’œil d’Arnaud Despleschin rapproche ainsi Vertigo d’Hitchcock et Shoah en ce qu’ils partagent « cette folle passion de voir, qui devient celle de montrer ». Luc Dardenne lui exprime son admiration pour avoir écrit « le grand poème cinématographique d’Auschwitz ». Gérard Wajcman souligne la particularité de la démarche de Lanzmann qui fait de lui « le seul intellectuel de son espèce » : « un philosophe qui a construit son œuvre au cinéma, avec le cinéma » et ayant mis au centre de sa recherche la relation qu’entretiennent l’image et la vérité. Sur Shoah, on retiendra encore la brillante et volumineuse étude de Patrice Maniglier intitulée « Lanzmann philosophe. Introduction au corps-Shoah », ou l’analyse d’Axel Honneth qui remarque à juste titre que « Shoah ne veut pas provoquer chez le spectateur l’identification aux victimes, mais au contraire approfondir la distance entre notre aujourd’hui et l’époque de leur souffrance et de leur mort ».
Si les textes consacrés à l’œuvre phare de Lanzmann sont nombreux, les autres films du « philosophe-cinéaste » ne sont pas négligés. A titre d’exemple, Marcel Gauchet se penche sur Le Dernier des injustes dans lequel le réalisateur a recueilli le témoignage du rabbin Benjamin Murmelstein, dernier président du Conseil juif du ghetto de Therensienstadt. Ce film, avance Gauchet, est « le contrepoint de Shoah. Ce n’est pas ici la machinerie implacable de la destruction qui est au premier plan, mais l’écartèlement d’un homme contraint de s’en faire le complice ».
Sur Le lièvre en Patagonie (Gallimard, 2009), on lira les belles pages d’Éric Marty qui relatent les dimanches de 2007 et 2008 durant lesquels le critique relisait les pages de l’autobiographie de Lanzmann en train de s’écrire et les moments de partage et d’amitié que ce travail occasionnait. Jean-Pierre Martin évoque quant à lui le grand livre de l’auteur comme « le récit d’une libération, le compte-rendu d’un triomphe de haute lutte sur la honte et la négation de soi ».
Enfin, à côté des portraits et souvenirs de Philippe Sollers, Shimon Peres ou Franck Nouchi, on appréciera l’« Autoportrait à quatre-vingt-dix-ans », long entretien mené par Franck Nouchi et Juliette Simont dans lequel il revient sur sa jeunesse, parle de poésie, d’Israël, de cinéma ou de philosophie. Fidèle à lui-même, il apparaît ici comme « le dernier des irréductibles ».
On pourrait reprocher à ce collectif son caractère patchwork, son aspect décousu. Pourtant, c’est cela même qui fait son intérêt et participe au plaisir de la lecture. C’est un livre « buissonnier » de l’aveu même de Juliette Simont, un livre aux mille chemins qui reflète parfaitement l’esprit du grand monsieur qui s’y donne, à travers ces pages, à mieux connaître.
Arnaud Genon
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