Chéri-Chéri, Philippe Djian
Chéri-Chéri, septembre 2014, 194 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Philippe Djian Edition: Gallimard
Comme souvent avec Djian ; un livre, non, des livres, et, ici, beaucoup. Roman intimiste, de société, suspense coloré policier, Huis clos… on peut encore y voir un récit d’atmosphère. Tout ça dans un seul livre ! S’il faut choisir, on peut aller vers le Huis clos d’atmosphère… mais d’autres lecteurs le prendront sans doute par un autre bout, ce Djian d’hiver. Un bon, encore un.
« Le bloc se fissurait. Ce qui me semblait inimaginable hier encore se réalisait sous mes yeux à présent. Les murs de leur citadelle se lézardaient, ils n’étaient plus les trois seuls doigts de la même main – dont je m’étais toujours senti exclu – le vent avait tourné, le ressentiment s’installait entre eux, attisé par mes soins quand j’en avais l’occasion – baiser Véronica participait d’un long travail de sape que j’avais entrepris presque inconsciemment et qui en constituait à ce jour le point d’orgue. C’était une sensation bizarre de craindre l’orage et de le souhaiter en même temps ».
L’écriture d’une minutie classique, le regard extérieur – globalement extérieur, mais vu de très près – sur un étrange bestiaire, dont au fur et à mesure on s’approprie la fraternité humaine… Philippe Djian aux manettes…
Quelque part – mais des passages très poétiques nous font presque sentir ces lieux – Denis, l’écrivain narrateur-acteur (quelques traits plus que justes posent ces gens qui écrivent, mais en vivent assez chichement) arrondit des débuts de mois difficiles – le moment des loyers – par un travail d’artiste dans un bar de travestis. Il y est Denise, et on passe le roman à se demander si ce quelque chose en lui (« je ne me déguise pas en femme, je suis une femme la moitié du temps ») va accoucher d’une certitude. Ce serait sans doute le cas chez d’autres auteurs, des cinéastes, comme François Ozon dirigeant Romain Duris dans son dernier film Une nouvelle amie. Pas chez Djian, qui ne fait qu’éclairer cet « aspect du problème », sans lui donner franchement le rôle-titre du livre. Donc, en perdant son lecteur, le malin. On voyage ailleurs, la panoplie de « femme » aguichante sous le bras : les femmes – la sienne, la curieuse (elle mérite tout un livre) – Hannah ; mi-chemin, naïve, solaire, bonne comme du bon pain ? quoique ! La face plus banale en littérature, copieusement vénéneuse de la belle-mère, Véronica, nymphomane ; drôle de maîtresse encombrante. La famille (arrière-plan de la mère complaisante et du père homophobe ordinaire), la belle famille, surtout, le fric, l’emprise, limite mantes religieuses, organisée autour du beau-père, un drôle de zig ; Paul, hystérique et parano, dans une toute puissance constante et destructrice dont on attend, page après page, les rebonds sur le reste du troupeau. Un Paul, maffieux sans doute, dont « les » rôles s’imbriquent sans jamais être clairs pour le lecteur, qui se fixe sur lui, en haletant de curiosité mâtinée d’angoisse sourde. – Ça va où, ce roman ; et Denis, il va où ? Notre marque-page constant, avec – comme il se doit en bonne musique – des passages « forte » suivis par de (presque) doux moments de détente.
Ne cherchez pas ! Vous ne devinerez pas à l’avance ; mieux vaut lire. « J’ai écrit qu’elle était la première femme que j’aimais vraiment après ma mère. Et tout ça est vrai, tout ça n’est qu’invraisemblable et pure vérité… ». On ne saurait mieux vous dire !
Martine L Petauton
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