Charlotte, David Foenkinos
Charlotte, août 2014, 224 pages, 18,50 € (version numérique : 12,99 €)
Ecrivain(s): David Foenkinos Edition: Gallimard
C’est un roman qui n’en a pas l’air.
A première vue.
Ce pourrait être un simple alignement de notes,
En quelque sorte un pré-roman.
L’ébauche d’un récit.
Mais c’est un vrai roman.
C’est le roman de Charlotte Salomon.
Ou, plutôt, c’est la vie de Charlotte Salomon.
Sa vie, son œuvre, ses dessins, sa peinture.
Sa vie reconstruite, épisode par épisode.
Son œuvre redécouverte.
La genèse de son œuvre, son essence, ses sources.
Sa raison d’être, d’avoir été.
L’œuvre qui a donné du sens à l’existence de Charlotte Salomon.
Qui prend son sens dans l’histoire de Charlotte.
Dans l’Histoire de l’Humanité.
Dans la tragédie du siècle dernier.
Dans le nazisme et la Solution Finale.
L’œuvre qui prend son sens dans la mort de Charlotte.
Dans le meurtre de Charlotte par les barbares hitlériens.
Dans l’Holocauste.
L’œuvre qui retrouve tout son sens tragique dans ce roman qui n’a pas l’air d’être un roman.
Charlotte est le personnage de ce roman qui n’a pas l’air d’en être un.
Mais Charlotte, avant d’être le titre d’un roman qui n’a pas l’air d’en être un, a été une personne.
Une personne comme les autres, comme vous et moi, comme ceux qu’elle a aimés.
Comme ceux qui l’ont assassinée.
Charlotte est Allemande.
Juive.
Allemande et juive.
Somme toute, une personne faite de chair, de sang, d’os, d’esprit, d’âme, de talent,
Faite de joies, de pleurs, d’amour, de beauté, en deux mots : de vie…
De tout cela et de bien d’autres choses.
De tout cela qui a pris fin en quelques minutes dans un amoncellement de cadavres nus.
Dans l’horreur glaçante de la chambre à gaz.
Charlotte n’est pas la créature de David Foenkinos.
Au contraire, Charlotte possède Foenkinos.
Charlotte détient tous les droits d’auteur sur Foenkinos.
Sur ce roman de Foenkinos qui n’a pas l’air d’en être un.
Depuis des années Charlotte poursuit Foenkinos qui poursuit Charlotte.
Charlotte est à la fois dans David Foenkinos et devant lui qui suit sa trace.
L’image de Charlotte, ses drames, la Mort qui accompagne Charlotte.
La Mort qui joue sa danse macabre autour de Charlotte.
Dès sa naissance.
Avant sa naissance, s’acharnant sur sa famille, de suicide en suicide.
Charlotte est l’obsession de Foenkinos.
Fascination de l’écrivain pour le destin bouleversant d’une âme-sœur,
D’une artiste dont l’existence est une succession d’actes tragiques,
D’une peintre de génie qui a représenté sa vie dans ses tableaux.
Qui a inscrit tous ses dessins dans un dessein global, terriblement lucide :
« Ce jour-là, c’est la naissance de son œuvre Vie ? ou Théâtre ?
En marchant, elle pense aux images de son passé.
Pour survivre, elle doit peindre son histoire.
C’est la seule issue.
Elle le répète encore et encore.
Elle doit faire revivre les morts ».
Vie ? ou Théâtre ?
De cette vie, de ce théâtre, Foenkinos fait un roman qui n’a pas l’air d’être un roman.
Mais qui, bon sang, en est un !
Indiscutablement !
Puissant.
Disant.
Criant.
Hurlant.
Simplement, terriblement émouvant.
Un de ces romans qui rouvrent des blessures et qui laissent des séquelles.
Pour la forme, l’auteur s’explique :
« Pendant des années, j’ai pris des notes.
J’ai parcouru son œuvre sans cesse.
J’ai cité ou évoqué Charlotte dans plusieurs de mes romans.
J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois.
Mais comment ?
Devais-je être présent ?
Devais-je romancer son histoire ?
Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ?
Je commençais, j’essayais, puis j’abandonnais.
Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite.
Je me sentais à l’arrêt à chaque point.
Impossible d’avancer.
C’était une sensation physique, une oppression.
J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer.
Alors, j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi ».
Magnifique exemple de méta-littérature, dirait tout professeur de lettres.
Au milieu d’un roman qui a l’air d’être un poème, un chant, un hymne.
Mais qui est un roman.
Et quel roman !
Patryck Froissart
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