Celle que vous croyez, Camille Laurens
Celle que vous croyez, janvier 2016, 194 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): Camille Laurens Edition: Gallimard
Camille Laurens est une virtuose du désir, de l’amour, de la langue et du sexe. C’est ce qui ressort de la lecture de son nouveau roman paru, Celle que vous croyez, une écriture à quatre voix, celles de deux femmes et de deux hommes, aux identités assez claires pour les hommes et assez troubles pour les femmes : Claire Millecam/Claire Antunes, Marc, le psychiatre de Claire Millecam, Camille l’écrivain/Claire Antunes, Paul Millecam, mari de Claire. Je ne suis pas « celle que vous croyez ».
La thématique du livre est un prétexte : une ou deux femmes, intelligentes, cultivées, professeur de littérature à l’université, pour l’une, ou écrivain, pour l’autre, sont confrontées au mépris, à l’humiliation, à l’abandon par un amant de plus de dix ou vingt ans plus jeune qu’elles, rencontré sur les réseaux sociaux. Au psychiatre qui la suit à La Forche, l’institution où elle est soignée depuis deux ou trois ans, la première raconte sa descente aux enfers et les tourments de la jalousie qu’elle a endurés, la seconde écrit à son éditeur, Louis O., lui décrivant ce qu’on ressent quand on joue deux personnages féminins à la fois complices et rivaux en amour, et lui narrant l’épisode de la rupture, lors d’un séjour raté en Bretagne.
Au-delà de l’intrigue, le texte de Camille Laurens révèle avec les XVIIe et XVIIIe siècles littéraires de nombreuses affinités. L’auteur est tout d’abord une moraliste de l’amour et du désir qui excelle dans l’aphorisme :
« L’amour est une élection, pas une sélection (p.50). Etre folle ? Ce que c’est qu’être folle ? […] C’est voir le monde comme il est (p.69). L’amour, c’est vivre dans l’imagination de quelqu’un (p.70). Le désir veut conquérir et l’amour veut retenir, dit-il. Le désir, dit-il, c’est avoir quelque chose à gagner, et l’amour quelque chose à perdre » (p.170).
En de nombreux endroits, sa réflexion se fait incisive et généralisante, à l’instar d’un La Rochefoucauld ou d’un La Bruyère, par exemple lorsque Claire Millecam discourt sur l’homme pervers ou l’homme hystérique (HH).
Camille Laurens est aussi une orfèvre de la langue, qui nous surprend plus de dix fois par page par le jeu qu’elle entretient avec le langage, par une métaphore, une comparaison, une vivacité de la pensée, souvent ironique de surcroît, qui ne se prend pas au sérieux, qui batifole, se livre au badinage, au marivaudage, telles ces « Fausses confidences » qui sont mises en scène par le groupe d’écriture de La Forche animé par Camille. Les conditions d’énonciation sont réunies pour faire de ce livre un récit vivant, in real life, tout au contraire de la vie virtuelle qui se déploie, avec ses heurs et ses malheurs, sur la Toile de Facebook. Claire Millecam s’adresse en un monologue vif et souvent impertinent à son psychiatre, qui paraît bien démuni pour ce qui relève du contre-transfert ; Camille prend à partie dans sa lettre son éditeur – « Ton message m’a fait de la peine : Tu vas me dire que j’ai bien cherché ce qui m’arrivait, Louis […] ; Tu connais La Forche ? », lui décrivant crûment, à l’instar d’un Sade ou d’un Choderlos de Laclos, des scènes de liaison dangereuse ou de sexe torride, dans lesquelles le lecteur est pris comme dans un tourbillon, happé par la tornade des mots et par l’ingéniosité circulaire de ce récit, véritable labyrinthe associatif où les chaînons narratifs se font et se défont à l’envi.
Sylvie Ferrando
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