Aussi riche que le roi, Abigail Assor (par Arnaud Genon)
Aussi riche que le roi, Abigail Assor, janvier 2021, 208 pages, 18 €
Edition: Gallimard
Le MaRock d’Abigail Assor
Dans Le jour du Roi (Seuil, 2010), Abdellah Taïa relatait la relation entre deux amis marocains à la fin des années 80, Omar et Khalid, l’un pauvre, l’autre riche, se déchirant pour aller baiser la main du Roi qui devait défiler devant leur école. Se dessinait, à travers leur histoire, le gouffre existant entre les différentes classes sociales (Rabat vs Salé) qui ne cesse de se creuser au Maroc depuis plusieurs décennies. Aussi riche que le roi, le premier roman d’Abigail Assor, nous plonge dans le Maroc de la capitale économique, Casablanca, du milieu des années 90. Ici le contraste social existe au sein même de la ville, entre le beau quartier de la colline d’Anfa où se trouvent les énormes villas retranchées derrière des murs infranchissables, et les quartiers populaires de Hay Hassani ou Hay Mohammadi où les immeubles délabrés jouxtent les bidonvilles.
L’histoire des deux personnages principaux, Sarah et Driss, c’est un peu celle de Roméo et Juliette. L’une est Française, pauvre, « une fille dont on ne savait rien […] sans aucune gêne […] même pas vierge et dont la profession du père n’était connue de personne ». L’autre est riche, « aussi riche que le roi », issu d’une famille fassie, ces familles originaires de Fès qui sont à la tête du pouvoir politique et économique du Royaume. Et peu importe que Driss ne soit pas beau. S’ils étudient tous les deux au Lycée Français de Casablanca, ils ne sont pas faits pour vivre ensemble, leurs univers respectifs sont généralement perméables l’un à l’autre. Elle n’a rien, alors que lui ne parle que la langue de l’argent : « C’était sa langue – même quand il ne disait rien, ça parlait en lui. Pas seulement à cause de la Rolex ou de la maison gigantesque […] mais parce qu’elle voyait bien que tout, dans sa vie à lui, avait été modelé par l’argent ». L’argent comme horizon commun. Cependant, contrairement aux personnages de Shakespeare, il n’y a pas entre Sarah et Driss de véritable amour. Casablanca n’est plus blanche depuis bien longtemps et ceux qui y vivent ont bien compris que les contes de fées n’existent pas. Pas ici en tout cas, en cette ville de contraste où la misère de Sidi Moumen côtoie le luxe d’Anfa, où les Jaguar se garent à côté des ânes des marchands ambulants, où les prostituées cohabitent avec les femmes voilées. Les illusions sont perdues. L’hypocrisie est reine. On fait contre mauvaise fortune bon cœur… Sarah devra tracer sa route pour sortir de sa misère. Driss lui proposera de venir rouler sur sa moto, « foncer là, dans l’eau, dans l’Atlantique. […] “Au pire, on se noie. Au mieux, on arrive en Amérique” ».
Aussi riche que le roi est un portrait générationnel, celui d’une jeunesse qui ne sait pas en quoi croire, une jeunesse perdue au bord de l’océan Atlantique qui rêve d’un ailleurs lointain. C’est un roman à l’image de Casablanca où ombre et lumière alternent.
Il y a moins d’une vingtaine d’années, deux films marocains avaient peint les deux visages de Casablanca : le superbe et désenchanté Marock (2005) de Laïla Marrakchi, et le sombre mais non moins abouti Casanegra (2008) de Nour-Eddine Lakhmari. Abigail Assor parvient, dans ce premier roman très réussi, à offrir une image on ne peut plus juste d’une société et d’une époque, une traversée géographique de « Casa », dans un style irréprochable, qui se transforme en une fine cartographie sociale et sentimentale. Le talent n’est pas en devenir : il est déjà là !
Arnaud Genon
Abigail Assor est née en 1990 à Casablanca. Aussi riche que le roi est son premier roman.
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