Ariel, Sylvia Plath
Ariel. 113 p. Poésie / Gallimard 5 € (réédition Gallimard Du monde entier, 2006).
Ecrivain(s): Sylvia PLATH Edition: GallimardLa mort pour mettre fin à la vie du désastre.
Sylvia Plath, Ariel, présentation et traduction de Valérie Rouzeau, Gallimard, Collection Poésie / Gallimard, 2009, 5 euros.
Ariel paraît en 1965, « deux ans après que Sylvia Plath s’était donné la mort à Londres, par l’un de hivers les plus froids qu’ait connu l’Angleterre ». Ces poèmes ont été écrits pour la plupart « entre octobre 1962 (après le départ de Ted Hughes) et février 1963 – les derniers écrit sont datés du 5 février, il s’agit des poèmes « Balloons » (« Ballons ») et « Edge » (« Extrémité »). Sylvia est morte le 11 », comme le note Valérie Rouzeau dans son avant-propos. Il faut saluer une fois encore, à l’occasion de cette réédition en poche, après que l’a fait Jean Bogdelin au sein de La Cause littéraire, sa traduction, libre et inventive autant que précise, qui permet aussi de mesurer à quel point les trouvailles poétiques de Plath ont enrichi son écriture non pas de traductrice mais de poétesse : Pas revoir bien sûr, mais surtout Quand je me deux (Le Temps qu’il fait, 2009), ou encore Va où (Le Temps qu’il fait, 2002).
Les poèmes de Plath sont tournés vers cette asymptote que fait l’âme avec l’infini qu’est l’amour :
« Amour, amour, ma saison » (« Messagers »).
Mais ils portent en eux toute l’imminence du désastre :
« Mes os renferment un silence, les champs font / Au loin mon cœur fondre. // Ils menacent / De me conduire à un ciel / Sans étoiles ni père, une eau noire ». (« Moutons dans la brume »).
Tout se fait noir au-dedans, quotidien de l’abîme qui épouse chaque part de soi :
« Je suis terrorisée par cette chose obscure / Qui sommeille en moi ; / Tout le jour je devine son manège, je sens sa douceur maligne. // Des nuages passent et se volatilisent. / Sont-ils les visages de l’amour, ces disparus livides ? Est-ce pourquoi j’ai le cœur bouleversé ? » (« La voix dans l’orme »).
Mais la page réclame le poème, qui veut s’écrire :
« C’est nu comme du papier pour l’instant mais attendez » (« Le candidat »).
Car toujours, avec la poésie, il s’agit de donner corps à la détresse mais aussi de rompre la fatalité par quoi, imaginairement, « [j]’ai abandonné mon nom et mes vêtements aux infirmières, / Mon histoire à l’anesthésiste, mon corps aux chirurgiens » (« Tulipes »).
Si l’approche et l’appel de la mort sont criants, ils portent en eux une inénarrable douceur, ce qui poussera Sylvia Plath à se tourner vers le geste patient de châle peint frôlant les cheveux et les tempes jusque dans l’atroce puisqu’elle ouvrira le gaz de la gazinière après avoir calfeutré la porte de la cuisine et préparé des biscuits et du lait pour ses enfants qu’elle aura posés sur la table, pendant qu’ils dormiront à l’étage supérieur.
« Sombrer puis disparaître, et l’eau m’a submergée. / Me voilà nonne maintenant, je n’ai jamais été si pure. // Je n’avais pas besoin de fleurs, je voulais seulement / Rester couchée les paumes offertes, être complètement vide. // C’est une telle liberté, tu n’as pas idée d’une liberté pareille » (« Tulipes »).
« Et moi, je quitte cette peau / De vieux pansements, d’ennuis, ces vieux visages // Pour te rejoindre depuis la voiture noire du Léthé, / Aussi pure qu’un bébé » (« Arriver »).
Mais, en définitive, mourir permet de donner fin à la mort, qui se faisait jour tout au long de la vie, ruinant chaque geste en le ceignant de brume, de sanglantes braises noires :
« Elle a l’habitude de ce genre de chose. / Et ses ténèbres craquent, et ses ténèbres durent. » (« Extrémité »).
Aussi pour Plath mourir est-ce « Arriver ».
Matthieu Gosztola
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