Anna Amorosi, Jean-Noël Schifano (par Philippe Leuckx)
Anna Amorosi, juin 2020, 18 pages, 12,50 €
Ecrivain(s): Jean-Noël Schifano Edition: Gallimard
Dix-huit livres (romans, essais) depuis 1981 : le parcours de Schifano est tout entier lié à Naples. Il y va de l’hérédité familiale ; il y entre un goût immodéré pour cette ville du sud profond. Auteur des fameuses Chroniques napolitaines, rééditées et amplifiées, il vit par et pour la ville vésuvienne, cette cité qui a défrayé la chronique pour maints motifs. Le cinéaste Rosi, l’écrivain Saviano, le romancier Rea, entre autres, ont donné une certaine image d’une Naples avilie dominée, dépouillée, meurtrie.
Giannatale a été directeur de l’Institut Culturel français de Naples.
Schifano, dans Anna Amorosi, recrée les années 60, autour d’un couple sulfureux, notoirement connu par les magazines à sensation de l’époque. Des désirs de Cinecittà chez la femme, parasitée par un Comte préoccupé tout entier de sexe « par personne interposée ». Sur fond de Naples et de Rome, un décapant portrait d’une aristocratie à la dérive, amorale, campée sur les extrêmes (attentat fasciste de Milano). On retrouve la gouaille érotique d’un Giannatale, élevé aux petits lait et virulence des « chroniques napolitaines » sanguinaires des siècles 16 et 17.
Un bref roman d’une certaine initiation à l’amour, quand les dés sont pipés, quand un voyeur obscène et pornocrate observe et guide les ébats, en invitant de jeunes recrues à satisfaire – ce qu’il ne peut – sa femme trop belle. Porté par la métaphore, les images luxuriantes et la flamme d’une culture, qui ne s’étale pas, mais éclaire le propos, le roman de Schifano a de forts accents d’autobiographie déguisée ou infléchie ; le récit, plutôt que le roman, la chronique, puisque l’auteur la pratique sur base de faits historiques, me semblent donc plus appropriés. Certes, le narrateur peut, et c’est son droit, jouer d’un naturel, d’un réalisme et d’une authentification qui ne sont sans doute que masques et êtres de papier !
Mêlant les époques, Schifano tisse autour d’Anna, femme « libre » tout autant que manipulée, un tableau saisissant d’une ville qui n’aura jamais fini de surprendre le lecteur « modéré ». Ici, tout est lave, vulve, poison, volcanique passion. Un Comte échangiste, pervers ; un chevelu dont Anna tombe amoureuse ; un Giannatale éploré d’une perte difficilement chiffrable, la passion étant de l’ordre de tout ce qui déroge, déborde…
La langue prête ses charmes, ses venins, ses plaisirs à cette chronique amoureuse, sensuelle, érotique ; somptueuse prose d’un fou des vocables, d’un fou d’une ville…
Le « roman » se clôt sur un double drame, que l’on laissera découvrir.
Parfois délaissé, comme quelques autres (Lefèvre, de Ceccatty, Visage, Pancrazi), des horizons de la littérature francophone, voilà un véritable écrivain dont l’univers est imparable, personnel, et sans cesse revisité. Pour le plus grand plaisir du lecteur.
Philippe Leuckx
Jean-Noël Schifano, né en 1944, est l’auteur de dix-huit livres. Parmi ceux-ci, citons : Chroniques napolitaines ; La Danse des ardents ; Les Rendez-vous de Fausta ; Le Coq de Renato Caccioppoli.
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