Amour, Colère et Folie, Marie Vieux-Chauvet (par Stéphane Bret)
Amour, Colère et Folie, mai 2021, 491 pages, 11,20 €
Ecrivain(s): Marie Vieux-Chauvet Edition: Zulma
Amour, Colère et Folie est une trilogie qui présente successivement des personnages indépendants, mais représentatifs à un titre ou à un autre, de la situation d’Haïti. Dans la première partie, il est question de Claire Clamont, sœur aînée d’une famille, qui veut épouser à tout prix un Français, Jean Luze ; elle détruira sa famille pour atteindre ce but chimérique. Dans la seconde partie, l’auteure s’attache à décrire l’histoire d’une famille de propriétaires terriens : ils seront tous écrasés en essayant de récupérer leur terre. La dernière partie met en scène des jeunes poètes qui vivent à huis clos dans la maison d’Ubu.
Le point commun de ces récits, c’est tout d’abord une extrême dureté : celle des sentiments, des états d’âme, marqués par le mal, la tentation permanente de la violence, par l’envahissement du remords, par des interrogations nourries à propos des origines, de la situation des Haïtiens. Le lecteur est confronté à la terreur, celle des tontons macoutes, au temps de la dictature de Duvalier. L’auteure évoque également la période de l’occupation américaine :
« C’était l’occupation avec tout ce qu’elle comporte d’humiliation et de bénéfices aussi pour le pauvre peuple indiscipliné, endetté, miné par les luttes intestines que nous représentions. (…) Puis ce fut la révolte : le drame de Marchaterre, la grève des étudiants et enfin en 1934, la désoccupation ».
Le lecteur cherchera en vain des raisons d’espérer dans les descriptions et évocations des vies des personnages des trois récits : partout, la violence triomphe, le mal est irrésistiblement vainqueur, aucune issue n’est visible : ainsi l’une des membres de la famille du propriétaire terrien évoquée dans la seconde partie constate-t-elle :
« Elle avait donc échoué comme ils échoueraient sans doute tous (…) Recommencer ce qu’elle avait fait aujourd’hui, n’était-ce pas sincèrement obéir à l’orgueil de mourir justifiée par eux et aussi par elle-même ? ».
Ce récit, aussi désespéré qu’il fût, a provoqué l’ire de la dictature haïtienne et contraint son auteure à l’exil à New-York. Un hommage à l’efficacité de la littérature.
Stéphane Bret
Femme émancipée, libre, révoltée par la force des choses, Marie Vieux-Chauvet est née en 1916 dans une famille de la grande bourgeoisie haïtienne. La parution de Amour, Colère et Folie la condamne à un exil sans retour à New-York, où elle s’éteint cinq ans plus tard, en 1973.
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