2084 La fin du monde, Boualem Sansal
2084 La fin du monde, août 2015, 274 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Boualem Sansal Edition: Gallimard
2084 La fin du monde est un pamphlet, un récit utilisant la trame romanesque et les rebondissements d’un conte pour éclairer le lecteur et le mettre face à des vérités désagréables et bien dérangeantes : par exemple, celle qui est énoncée en exergue du roman : « La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité ».
Le roman a pour cadre l’Abistan, un immense empire conquis autrefois sur les infidèles, les ennemis de la Foi. Le système de cette contrée repose sur la soumission à un dieu unique, Yölah, dont le prophète, Abi, est le délégué sur terre. Toute idée personnelle, toute pensée originale ou manifestant le moindre commencement de déviance y est bannie. L’écriture révérée est le Gkabul, dont les habitants de cet empire doivent s’imprégner sans cesse, le psalmodier à de nombreuses reprises dans la journée dans les mockbas, lieux de culte. Cet environnement doit rappeler quelque chose aux lecteurs contemporains, mais Boualem Sansal dans sa préface nous avertit avec force humour et ironie : toute ressemblance avec une réalité existante est fortuite, le récit se déroulant dans un futur lointain naturellement sans rapport avec l’actualité.
La force de ce roman est qu’il démonte un par un les mécanismes qui conduisent au totalitarisme religieux et à l’obscurantisme, comme mode de conduite.
Cette mise en évidence se précise à mesure du déroulement de l’intrigue de départ : Ati, personnage central, met en doute les certitudes et dogmes imposés par cette société ; il entreprend de découvrir l’existence d’un peuple renégat qui vit dans les ghettos, sans l’aide de la religion. Il envisage également l’existence d’une frontière à l’Abistan, et par conséquent la possibilité d’un autre pays, d’une autre langue, d’autres mœurs…
Au départ, pour construire la servitude, on nomme l’ennemi, l’infidèle : « On parlait de la grande mécréante, on parlait de Makoufs, mot nouveau signifiant renégats invisibles et omniprésents ».
Un autre lien est mis en lumière : « Quel meilleur moyen que l’espoir et le merveilleux pour enchaîner les peuples à leurs croyances, car qui croit a peur et qui a peur croit aveuglément ».
Au cours de son voyage, Ati interroge des individus, voit le doute grandir dans son esprit au point de faire un constat encore plus amer : « C’est en son sein qu’il avait découvert qu’il vivait dans un monde mort et c’était là au cœur du drame, au fond de la solitude, qu’il avait eu la vision bouleversante d’un autre monde, définitivement inaccessible ».
En arrivant dans un village, Ati rencontre Toz, personnage ambigu, dont le véritable rôle est mal défini : un provocateur, un mouchard, un lanceur d’alerte ? Ce dernier rappelle à Ati qu’autrefois les habits étaient désignés par des termes fonctionnels, neutres, précis. On n’employait pas les vocables de burni, de burniquab, ces voiles qui cachent dans l’Abistan le corps des femmes…
Boualem Sansal nous amuse, nous captive car il laisse dans le roman une grande place à l’humour et à l’ironie. Il dépeint également la pratique de l’Abilang, cette langue véhiculaire obligatoire dans cet empire de l’Abistan, dont les sonorités, le vocabulaire impliquent l’existence de ce monde uniformisé, aseptisé, oublieux de tout esprit critique. Le clin d’œil à Orwell et à sa novlangue est manifeste mais2084 La fin du monde pourra être rangé à bon droit dans la catégorie des livres à citer dans la dénonciation de phénomènes très actuels et d’une actualité cruelle, brûlante…
Stéphane Bret
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