Zou, Rémi Checchetto
Zou, 2015, 36 pages, 10 €
Ecrivain(s): Rémi Checchetto Edition: Espaces 34
« La porcelaine de sa vie »
Un titre tout court pour un texte tout court, en trois lettres ; un mot exclu du Littré, un petit mot que l’on n’emploie plus guère, une interjection méridionale : zou. Il est très souvent, au fil des pages, escorté de son point d’exclamation, plus nerveusement injonctif et rarement seul avec lui-même comme sur la première de couverture. La voix se dit et nous dit d’aller de l’avant, d’aller dans le texte, de foncer tête baissée. D’ailleurs Checchetto pose le premier mot sans majuscule comme si l’on prenait les choses et les phrases en marche, à toute allure :
soudain le monde passe dans le vide-ordures du cinquième étage… (p.9)
Comme une fin d’un monde ou du monde et de la langue qui commence. Le texte va dire autre chose, se dire autrement dans une cérémonie renouvelée et répétée. Ainsi revient l’incipit « et maintenant et désormais » (p.9, 10,11,12, 15). L’éclatement va jusqu’à la dislocation des pages à la surface desquelles s’imposent d’irrégulières strophes encadrées de vide et de blanc du monostiche Zou ! à des manières calligraphiques (p.11) :
monde
fait
défait
refait
monde
qui se fait
de mon fait
Le monde cassé comme de la porcelaine brisée sur le sol est le monde de celui qui parle, qui monologue, de celui qui crée son « très beau big big bang » (p.21). Il met à bas, en poète (Checchetto n’en est-il pas un ?) « la phrase sempiternelle, le cordon textuel ». Une nouvelle cosmogonie verbale chasse ce qui fut, selon la variante p.21, comme en une litanie :
et maintenant et désormais
Et maintenant zou va rimer avec vous : le monologue devient dialogue ou du moins adresse à l’autre, p.22 :
dire
vous
zou !
Vous
Quelque chose dès lors s’ouvre et s’élargit dans le texte et dans ce monde répété « je vois mon monde mon monde » (p.24). Il y est question du corps et de tous les sens puisque la vue, c’est la vie. Une nouvelle grammaire s’invente. Nous assistons en vérité à une ère autre, d’un incipit transformé et qui lui aussi revient (p.28, 29,30, 31) :
c’est le matin ou le soir ou le midi tout autant
Celui qui parle devant nous car nous sommes au théâtre, annonce sa propre dislocation : il est dévoré au sens propre mais également au sens métaphorique puisqu’il est tout entier pris par le flot langagier qui le submerge par ses énumérations, ses accumulations. Vive l’orgie poétique ! La parole est passée de l’un à l’autre et vous à la fin du texte, à la fin de ses mots, hérite du pipeau et du sifflet, souvenirs ironiques et contemporains peut-être de la syrinx antique des poètes.
Marie Du Crest
Le 3 octobre, à l’heure de l’Apéro, Rémi Checchetto lit Zou à la médiathèque de Clisson en compagnie d’un vigneron du pays nantais.
Chez le même éditeur, dans la même collection : Que moi, 2013 ; L’homme et cetera, 2012 ; Kong Melancholia, 2011 ; King du ring, 2010.
On peut se reporter à ma précédente chronique du 27 janvier 2014 consacrée au texte Que moi, mais également à diverses vidéos de R. Checchetto lecteur de ses œuvres sur YouTube et Dailymotion ainsi que sur le site Terre à ciel dédié à la poésie contemporaine.
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