Zone franche, Jacques Ancet (par Didier Ayres)
Zone franche, Jacques Ancet, éditions Tarabuste, avril 2022, 216 pages, 14 €
Dénuder
Ici la cendre du poème – sa combustion tardive, son altération intérieure – se manifeste par des effets graphiques, des décrochés, des blancs au milieu du vers, avec pas ou peu de ponctuation, sans aucune majuscule et parfois des occurrences en langue étrangère. Le poème va comme en une zone non atteinte, indépassable, voire hors d’atteinte. La poésie ne vaut que pour ce qu’elle a d’essentiel. Le rêve du poète est-il peut-être celui de récréer la langue entièrement, sans poids, toujours nouvelle, profonde et ductile ? Tel est là le projet de ce recueil, à mon sens. J’y distingue la cendre de la cendre (comme le signifie Jacques Derrida).
J’ai dressé dans mes notes une petite liste d’épithètes qui pourraient correspondre à mon impression première de lecteur : effacer, retirer, ôter, enlever et enfin, dénuder. Cette prosodie, où la quantité de vide se calcule grâce à la quantité de tentatives pour créer un langage personnel, se réduit à des cercles de vocabulaire stricts, voire pauvres.
Parfois il suffit d’une couleur, soit un bleu universel, un peu de vert non défini, du noir ou du blanc, des tons génériques. Jacques Ancet semble se concentrer sur la place des images, pour une tâche plus haute, celle du poète. Est-ce là, comme le définissait Meschonnic, « ne pas poétiser », donc revenir à la langue pure ? Je crois que cette allusion n’est pas inutile. De ce fait, il n’y a pas de lyrisme gratuit, juste l’os – travail de la simplicité le plus difficile.
marcher dans la lumière
jusqu’à ne plus rien voir
oublier jusqu’à son ombre
cassée
sur
chaque pierre
sans mots
être enfin nu
L’entreprise conceptuelle de ce texte revient à chercher une pierre, une fleur saxifrage, le beau et sa profondeur sans afféterie, détruire peut-être l’attente, jouer sur l’infini de ces portes ouvertes sur le néant – comme le définit Heidegger dans son lien avec l’ennui métaphysique ou l’angoisse. Poèmes anagogiques, et par cela, composés de tons dont l’arcane est spirituel, d’une forme de prière non pas incandescente mais crue, nette, sans appel. Leur visée ? Une illumination sans ornement. Pas de complaisance avec soi. Être. Dénuder le langage pour lui fournir sa violence, sa brutalité.
nu
mot à mot
tisser un vêtement
de phrases où se cacher
entre les feuilles jaunes
les branches blanches
le silence
Ou plus loin
les mots se taisent
bribes
lisse
duvet les doigts
caressent encore
ce qui n’est déjà
plus
Didier Ayres
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