Zero K., Don DeLillo (par Léon-Marc Levy)
Zero K., septembre 2017, trad. américain Francis Kerline, 298 pages, 22,80 €
Ecrivain(s): Don DeLillo Edition: Actes Sud
Don DeLillo nous a toujours habitués à ses univers glacés, déshumanisés, saturés de technologie et de machines. Avec Zéro K, le vieil écrivain new-yorkais met une pierre de plus à l’édifice construit par sa vision noire du monde. Et quoi de plus noir que la mort ? La mort, vue par DeLillo, c’est l’assurance d’un roman âpre, terrible, désespérant. Et on n’est pas déçu.
Reprenant le thème connu de la SF du retardement du décès par cryogénisation, ce roman raconte la fin (« provisoire ») de gens qui ont choisi de mourir pour renaître un jour, quand les progrès de la médecine permettront de soigner les maladies mortelles aujourd’hui, de garantir une vie beaucoup plus longue. C’est la décision de Ross Lockhart qui, ne supportant pas la maladie létale de la jeune femme qu’il aime, décide, avec son accord, de la livrer à l’expérimentation.
Le narrateur est le fils unique de Ross. Il a perdu sa mère depuis longtemps. Son père l’a élevé dans le luxe matériel et un grand dénuement affectif et spirituel. Ross est un grand homme d’affaire, qui brasse décisions, pouvoir et argent. Il n’a guère de temps pour les effusions ou les élévations de l’âme.
« Je n’étais pas catholique, mes parents n’étaient pas catholiques. J’ignorais ce que nous étions. Nous étions Mange et Dors. Nous étions Apporte le Costume de Papa au Pressing ».
Jeffrey – en contrecoup du père – est peu expansif, taiseux même, il se dérobe au monde. Don DeLillo déroule le fil de cette relation père-fils avec le détachement qu’on lui connaît. Tout semble se jouer comme une mécanique implacable, tout est inscrit d’avance comme dans une tragédie antique. La narration s’attache aux détails infimes plus qu’au métarécit – l’écriture de DeLillo est métonymique, obsessionnelle :
« Je pense à des gouttes d’eau. Je me revois debout sous la douche en train de regarder une goutte ruisseler sur la face interne du rideau. Je me concentre sur cette goutte, cette gouttelette, ce globule, j’attends qu’elle change de forme en passant sur les plis et les replis pendant que l’eau martèle un côté de ma tête ».
Père et fils se noient dans le temps. Le temps passé, le temps à venir (peut-être), le temps des vies d’hommes. Ils sont simples gouttes dans le flot du temps. Le cynisme de Ross fait écho à cette insignifiance, thème chéri s’il en est de l’univers romanesque de DeLillo. Les porosités avec Bret Easton Ellis, ou à un degré moindre avec notre Houellebecq, semblent intéressantes à signaler, en insistant sur le fait que le vieux DeLillo les précède dans le cynisme des personnages et la vacuité du monde dans lequel ils évoluent. Vacuité qui va jusqu’au vide absolu, celui du temps :
« En secondes, disait-il. Commence à compter. Ta vie en secondes. Pense à l’âge de la Terre, aux ères géologiques, à l’apparition et à la disparition des océans. Pense à l’âge de la galaxie, à l’âge de l’univers. Tous ces milliards d’années. Et nous, toi et moi. Nous vivons et mourons en un éclair.
En secondes, disait-il. Nous pouvons mesurer notre temps en secondes ».
La découverte par Jeffrey d’une clairière peuplée d’étranges mannequins, près du centre de cryogénisation, donne une page saisissante, une allégorie terrible du monde humain :
« Ces mannequins avaient des traits, affaissés, érodés, des yeux, des nez, des bouches, des faces dévastés, d’un gris cendré, des mains racornies, pas vraiment intactes. Il y avait à peu près une vingtaine de ces silhouettes debout, dans de vieux haillons gris, têtes inclinées ».
La mort, le temps qui fuit, sont la grande affaire des hommes. La grande affaire de ce roman sombre, glacé, angoissant. L’écriture distante de Don DeLillo (parfaitement traduite en français par Francis Kerline) achève cette impression.
Léon-Marc Levy
VL3
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