Zeina, bacha posh, Cécilia Dutter
Zeina, bacha posh, Le Rocher, août 2015, 218 pages, 18,90 €
Ecrivain(s): Cécilia Dutter
Kaboul, années 1980. Le père de la petite Zeina, 3 ans, meurt. Selon une coutume ancestrale, l’avenir de la fillette est désormais tracé : elle sera une bacha posh, une fille déguisée en garçon, seul moyen de survivre à la pauvreté et à la honte d’une famille de femmes puisqu’en Afghanistan ces dernières doivent être « chaperonnées » par un homme dans tous leurs déplacements. À la puberté, les formes de la jeune fille menacent de la trahir, et on la somme de recouvrer son identité originelle. Mais ayant goûté à la liberté réservée aux garçons, Zeina refuse et s’enfuit.
Réfugiée dans les locaux kabouli d’une association occidentale militant en faveur du droit des Afghanes, elle accompagne cette ONG à Paris pour sensibiliser les médias à la douloureuse condition féminine dans son pays. Elle fugue le jour du retour en Afghanistan et survit misérablement dans la capitale jusqu’à ce que sa route croise celle d’un photographe. Fasciné par sa beauté, qu’il devine sous son apparence masculine, il la prend sous sa coupe et parvient à l’imposer dans le milieu de la mode. Égérie des plus grands couturiers, elle sillonne le monde, devient la maîtresse de celui qui l’a découverte et multiplie les conquêtes, cherchant en vain dans le regard masculin à vérifier une identité féminine dont elle doute au plus profond d’elle-même.
Les années passent, installée aux États-Unis, malgré le succès, elle sombre dans la désespérance. Une rencontre la poussera à s’interroger sur son parcours. La femme moderne et affranchie dont elle est devenue le symbole ne répond-t-elle pas aux diktats que la société fait peser sur les femmes en général ? En quittant son Afghanistan natal pour rejoindre le monde occidental, Zeina n’a-t-elle pas fui un enfermement pour un autre, moins implacable mais plus insidieux ?
Ces questions sont au cœur de ce roman courageux en forme de coup de poing. À travers cette fiction construite autour d’un grand destin de femme, dans un style ciselé et aérien, Cécilia Dutter continue de réfléchir sur la quête identitaire, thème de prédilection de plusieurs de ses précédents ouvrages (notamment Lame de fond, Albin Michel, 2012, Prix Oulmont de la Fondation de France ou Etty Hillesum, une voix dans la nuit, Robert Laffont, 2010) mais ici, sous l’angle de l’émancipation féminine contemporaine, qu’elle ne craint pas d’écorner sur certains aspects.
Son héroïne ira au bout de la liberté occidentale dont elle rêvait, au bout de la liberté que lui octroie la beauté standardisée dont elle est devenue le porte-étendard, au bout de la liberté sexuelle, pour finalement découvrir que la vraie liberté est intérieure et ne se gagne que par soi-même.
Laurent Bettoni
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