Woman hating, De la misogynie, Andrea Dworkin (par Yasmina Mahdi)
Woman hating, De la misogynie, Andrea Dworkin, éditions Des femmes Antoinette Fouque, mars 2023, trad. anglais (USA), Camille Chaplain, Harmony Devillard, 256 pages, 18 €
Edition: Editions Des Femmes - Antoinette FouquePerturber le genre
Andrea Dworkin, issue d’une famille de rescapés de la Shoah, née le 26 septembre 1946 à Camden, morte le 9 avril 2005 à Washington, est une essayiste et théoricienne américaine du féminisme radical. Dans cet essai très argumenté, elle dénonce la doxa qui repose sur un ensemble disparate d’opinions confuses, de préjugés, de présuppositions sur les femmes.
L’essayiste remonte aux origines de ces constructions négatives à travers mythes, fables et contes, et déconstruit, défait leur structure et leur imprégnation dans la culture, l’éducation et l’histoire, ainsi que leur influence (nocive) : « On veut situer l’instant précis où la fiction pénètre la psyché comme réalité, et où l’histoire commence à en devenir le reflet ; ou vice versa. Nonobstant, les contes véhiculent une représentation binaire et dichotomique des femmes et des hommes : la bonne jeune fille pure, incapable de se défendre (Cendrillon) ou mariée à un monstre (La Barbe-Bleue), prisonnière, et la marâtre cruelle, jalouse et criminelle.
Avec, en prime, au final, le prince charmant invincible et merveilleux qui vient la sauver et l’épouser, face au Père omnipotent (incestueux dans Peau d’âne) : « Il est le patriarche, et en tant que tel il est au-delà de la loi morale et de la décence humaine ». Somme toute, ces femmes se trouvent piégées sous l’égide de « la terreur ». [À ce propos, notons la toute nouvelle traduction par Natacha Rimasson-Fertin des Contes, éd. Corti, 2017]. Des fonctions et des modèles-type sont construits, établissant des rôles hyper définis dans un canevas simpliste.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage consacrée à l’analyse de la pornographie, l’autrice inspecte le registre itératif des scénarios illustrant les valeurs hétérosexuelles dominantes, sadomasochistes et agressives, aboutissant à une plus-value du masculin et une dévalorisation du féminin : « La position de demandeur est, virtuellement, une position de persécuté-persécuteur, parce que la médiation de la demande introduit nécessairement les relations sado-masochiques du type domination-soumission qu’implique toute interférence du pouvoir » (Laplanche-Pontalis, 1967). La femme-marionnette, manipulée, décervelée est une constante du fantasme érotique : « Elle doit être punie, domptée, avilie », d’où la prostituée… La femme possédée sexuellement ou par des forces démoniaques (cliché classique de la luxure), est sacrifiée et par conséquent dépossédée de son libre-arbitre, d’elle-même. A. Dworkin, issue de la génération de la contre-culture « amérikaine », des mouvements politiques d’extrême-gauche des années 1970 et de l’instauration d’une idéologie prônant la révolution sexuelle, pointe les contradictions qui agitaient cette jeunesse anticonformiste. À l’aide d’un langage parfois cru, direct, la grande féministe dénonce les paroles, les images et les actes phallocrates, misogynes et haineux.
La grande force de cet essai repose sur la contiguïté des mécanismes de destruction et d’anéantissement d’une partie de l’humanité. Ici, avec la comparaison entre les « actes gynocidaires commis contre les femmes » dans la société « amérikaine » et « l’extermination du peuple amérindien et le massacre des juifs par Hitler ». A. Dworkin remonte à l’origine mythique de l’humanité avec le postulat de l’androgyne premier, qui imprègne le judaïsme non hétérodoxe, dans « la Kabbale, un texte qui remonte dans sa forme écrite au Moyen Âge [où] “il y a aussi une divinité androgyne juive (…) Le misdrash fournit la réponse qui fait autorité : Lorsque le Saint, Béni soit-Il, créa le premier homme, Il le fit androgyne” (…) Tout comme les adeptes du tantrisme sont/ont été ostracisés par le reste des communautés hindoues et bouddhistes, la grande majorité des instances juives ostracise aussi les cabalistes ». Toujours dans la tonalité de son étude comparative, l’auteure consacre un long chapitre à la torture du « bandage des pieds » en Chine. Ainsi elle s’interroge sur « la perpétuation de ces impératifs de conditionnement oppressifs ». Elle examine les rouages des systèmes répressifs, qui conduisent aux stérilisations, aux mutilations et aux massacres de masse. À ce propos, elle se penche sur la chasse et la diabolisation des sorcières au Moyen Âge et leur atroce mise à mort.
« L’homme a traité la nature tout comme il a traité la femme : par le viol, le pillage, la violence ». L’autrice décrit et exemplifie les relations entre nature, Chair et Esprit, et remet en question avec véhémence l’invalidité des postures dualistes où « le féminin est défini comme émotionnel, réceptif, anarchique » et le masculin « comme l’autorité, la logique, l’ordre », conceptions qui sous-tendent la culture, la philosophie et la psychanalyse. L’ensemble du livre est une charge virulente qui perturbe le genre, la « biologie traditionnelle de la différence sexuelle ». Andrea Dworkin anticipe des problématiques contemporaines qui traversent encore les mentalités et les us et coutumes.
Yasmina Mahdi
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