Washington noir (Georges Pelecanos présente)
Washington noir, trad. USA par Sébastien Doubinsky février 2013, 280 p. 21 €
Ecrivain(s): George Pelecanos Edition: Asphalte éditions
Asphalte continue son tour du monde des grandes cités, versant noir. Aux USA, on savait pour Chicago bien sûr, pour NY, pour San Francisco et Los Angeles. La littérature policière, avec pour guides Chandler, Himes, Ellroy et combien d’autres, nous a conduits régulièrement dans ces antres du crime et de la violence urbaine. Pour Washington ça se sait moins : on imagine, de loin, une ville administrative, froide, à vastes espaces, bourgeoise.
Dès la préface, George Pelecanos nous révèle le Washington réel, celui que vivent ses habitants.
« Washington D.C. est la ville américaine où les différences de classe, de race et de culture sont les plus évidentes. Et les conflits ne se cachent pas sous la surface – l’expérience américaine est disséquée, discutée, vécue chaque jour, comme un poing dans la gueule. »
Nous voilà prévenus. Mais pas au point qu’on imagine ! Les nouvelles de ce recueil sont autant de coups de poing qui vont nous laisser sonnés. Il faut dire que le genre – la nouvelle noire – s’y prête particulièrement avec sa capacité de concentration des tensions, des conflits, des complexités les plus torves de l’âme humaine. Et le choix de Pelecanos est singulièrement sombre et détonnant.
Les nouvelles sont organisées par la géographie de D.C., par quartiers de la Ville . Chaque nouvelle occupe un espace urbain particulier : Park View (Nord-Ouest), Hill East (Sud-Est), Edgewood (Nord-Est) etc. On a ainsi une sorte de scansion du crime par la ville elle-même, comme par un battement du cœur qui anime l’organisme.
A tout seigneur tout honneur, le recueil s’ouvre par une nouvelle de Pelecanos. On y retrouve les canons de la nouvelle urbaine, parfois jusqu’au cliché :
« Il avait commencé à neiger un peu. Les flocons virevoltaient dans les cônes de lumière des lampadaires. Je suis descendu jusqu’à Georgia Avenue pour aller au Giant Liquors, où j’ai acheté une flasque de vodka Popov, que j’ai entamée en remontant vers Québec Street. »
On se rappellera longtemps le gamin de la deuxième nouvelle de Kenji Jasper « Première fois ». Narration à la première personne d’un jeune homme de 17 ans et qui passe de près, de très près, d’une absurde fin :
« T’as du bol d’être encore vivant, gamin. C’est le premier jour du reste de ta vie. »
Et « La chasse au coyote » de Ruben Castaneda, qui mêle conflits sociaux, raciaux et délinquance, vient comme un point d’orgue, diamant pur taillé rude, avec des figures fortes qui s’accrochent à votre mémoire.
« L’inspecteur Rocky Piazza – cent-dix kilos de souffrance. »
Vous l’avez compris, Pelecanos nous conduit dans le dédale des rues et ruelles de Washington, avec ses marlous, ses gamins déjantés, ses dealers, ses putes et surtout, par-dessus tout, ses malheureux qui errent dans des vies improbables, à la recherche de ce qu’ils ont le moins : un sens à leur existence.
Un écrin de joyaux noirs, magistralement traduits par Sébastien Doubinsky.
Leon-Marc Levy
VL2
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Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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