Voyages avec l’absente, Anne Brunswic
Voyages avec l’absente, mai 2014, 196 pages, 20 €
Ecrivain(s): Anne Brunswic Edition: Actes Sud
C’est un récit particulier que nous livre Anne Brunswic, celui d’une tentative d’explication, d’éclairage de la vie de sa mère, Françoise Tuchband, disparue en 1959 lorsque la narratrice avait huit ans. Le récit est articulé autour de lettres, imaginaires, écrites à cette mère absente, et s’appuie également sur des archives familiales, celles de son père, Henri Brunswic. Pourtant, le cadre purement familial est loin d’être l’unique thème de ce récit. Pendant la Seconde guerre mondiale, l’histoire de la famille d’Anne Brunswic passe en effet par Bruxelles, un séjour à Paris, puis en Bretagne. Le franchissement de la ligne de démarcation précède l’embarquement vers le Portugal, puis Londres comme destination finale.
Anne Brunswic évoque aussi les origines de sa famille maternelle en Lituanie, ce qui est prétexte à un examen de l’histoire de cette partie de l’Europe, si souvent sujette à des changements de frontière, de nom, d’appartenance politique.
Elle rappelle également sa situation d’enfant, le « numéro 3 », dans une famille aux résidences multiples. La lecture du chapitre relatant le transit de sa famille à Caldas da Rainha nous apporte quelques éclairages sur le rôle du Portugal pendant la guerre : « Sur un point, tous les réfugiés qui fuyaient l’Europe occupée par les Nazis, le Portugal était un paradis ! (…) Et un havre de sûreté car, malgré des demandes pressantes, les autorités portugaises – sur ce point et sur beaucoup d’autres, infiniment plus clémentes que le régime de Vichy – n’ont jamais livré personne aux nazis ».
Anne Brunswic pointe également la volonté d’ascension sociale de sa mère, le désir de la reconnaissance de la réussite par ses acquisitions immobilières prestigieuses : « En dix ans, tu seras passée de la porte de Champerret à la Place Malesherbes, la distance de trois stations de métro et d’à peine un kilomètre mais une véritable frontière sociale (…) Ou bien cherchais-tu à combler, à devancer même, les appétits – de standing, de respectabilité, d’honneurs, d’argent – de ton insatiable mari ? ».
On y découvre aussi l’une des sources de la souffrance de l’auteure : l’absence, la distance affective : « Tu étais déjà une mère absente. Absente à l’heure des câlins. Absente pendant les vacances d’été que tu passais en général seule avec papa, confiant tes rejetons aux parents, aux amis, ou, à défaut à des homes d’enfants ».
Le prologue et l’épilogue de ce récit, un dialogue posthume avec son père, sont marqués par l’omniprésence de la douleur, de l’amertume. Pourtant, Anne Brunswic parvient à éviter l’écueil, toujours possible dans ce genre de récit, du jugement définitif, en reliant son histoire personnelle à celle du monde, à l’histoire contemporaine, au rapport à la judéité, à la sincérité personnelle.
Stéphane Bret
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