Vous êtes ici, Renaud Ego (par Didier Ayres)
Vous êtes ici, Renaud Ego, Le Castor Astral, juillet 2021, 175 pages, 14 €
Poèmes spatiaux
Il m’a été difficile d’orienter une lecture de ce recueil de poèmes de Renaud Ego, pour en saisir une idée centrale susceptible de faire un accès aux textes. Difficile mais intéressant. Ce n’est cependant pas une poésie hermétique mais complexe, demandant une concentration importante pour suivre un chemin dans ce dédale intérieur – comme une rivière suivant son cours depuis sa source. La rédaction de ces poèmes a pris 6 années de la vie de l’auteur et on imagine facilement que les sujets de ces poésies ont suivi et accompagné l’existence du poète. C’est pour cela que l’on y voit : la femme en son érotisme, la folie et son énigme, le communisme et ses questions, des énumérations de chiffres, tout un univers qui n’est pas sans rappeler, sous certains angles, l’expérience littéraire de Pound.
Dans mes notes j’ai consigné des éléments et des formules : le poème et le mélange, le poème pour une fin du chaos, le poème devant le monde, le poème contenant, le poème face à lui-même, le poème et ses réalités, autant de titres possibles d’une musique profonde et psychique. Tout cela sous le principe d’une unité intrinsèque autour de la question de l’espace. Donc, ce « vous êtes ici » rassemble la tentative et lui donne sens. De plus, moi qui fus lecteur du Geste du regard du même auteur il y a quelques années, je pourrais avancer l’idée que c’est dans le poème que réside le poète – comme l’homme résidait dans la peinture rupestre par son geste de peintre. Ici, c’est le poète qui fait le poème, lequel le signifie.
écoute ce qu’ils ont déposé dans la langue
de même lumière et de même péril,
et imagine plus loin cette patience et ce qu’il a fallu d’urgence
et d’amour aux carbones, aux protéines, aux acides animés
pour s’accomplir en ces formes virtuoses
jamais semblables dans le sablier du divers.
Cette certitude m’a montré un sentier, une forme labyrinthique, la circonférence d’une ellipse (figure géométrique à deux axes), encore ou l’homothétie d’un principe poétique allant vers l’expression écrite. Donc un principe, le déroulé principiel et rigoureux à travers les quinze sections du livre.
Soudain dans un mouvement de gyre
la terre bascule tourne sur elle-même
puis de nouveau se stabilise
sur les contours de la France,
à toute vitesse je chute
vers les méandres de la Seine
avec ici ou là quelques forêts éparses
et la tâche crayeuse des millions de vie agglomérées
Toujours est-il, que dans l’ensemble, le poème reste visuel et concertant. Et cela pourrait apparaître comme un autre fil conducteur – l’espace, le poète en son hic et nunc, et enfin les images et les tonalités. J’ai la certitude que l’on se trouve devant un orchestre, composé de zones musicales, de fragments de sections, dirigé par la baguette d’un chef ordonnant une musique instrumentale – qui donc n’aurait de sens que dans l’écoute attentive de l’ensemble du morceau (Marteau sans maître davantage que Symphonie alpestre). Un peintre aussi jouant sur le rapport fond/forme et sachant habilement ménager ses valeurs. Donc, un parcours de lecteur intrigué et exigeant, autant ému par les signifiants que par le signifié.
Le plus beau poème de tout
c’est quand il se rue de partout et danse
sous la lumière où nous passons
pour que la lumière soit
ici, ici
Didier Ayres
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