Vivian Maier, en toute discrétion, Françoise Perron (par Arnaud Genon)
Vivian Maier, en toute discrétion, Françoise Perron, Éditions Loco, septembre 2021, 228 pages, 19 €
Sur les traces de Vivian Maier
Exposée au Musée du Luxembourg (septembre 2021/février 2022) ainsi qu’à la Galerie Les Douches aux côtés d’Hervé Guibert (novembre 2021/février 2022), Vivian Maier a été l’une des photographes les plus en vue de ces derniers mois. Il est ainsi logique qu’elle ait fait par ailleurs l’objet de plusieurs publications parmi lesquelles le livre de Françoise Perron, Vivian Maier, en toute discrétion. Jusqu’à maintenant, les admirateurs de la nounou photographe avaient dû se contenter, en France, du livre de Gaëlle Josse, Une femme en contre-jour (Notabilia, 2019), un portrait flou, impressionniste, qui n’apportait pas grand-chose de plus que le très beau documentaire réalisé par John Maloof et Charlie Siskel, Finding Vivian Maier, dont l’auteure s’était trop largement inspirée.
Françoise Perron s’est basée, elle, sur de nombreux témoignages recueillis en France et à Chicago ainsi que sur une bibliographie étoffée afin de tenter de percer les secrets d’une des photographes les plus talentueuses de son temps mais aussi une des plus mystérieuses figures de l’histoire de la photographie : « Vivian Maier n’accepta jamais de parler d’elle ou de sa famille. Elle mit toujours un coup d’arrêt à toute velléité de quiconque prétendait violer son intimité ».
On connaît maintenant les circonstances de la découverte de son travail. Vivian Maier, qui accumulait les coupures de journaux, ses films de photographie et ses tirages, dut louer, faute de place, des box pour les y stocker. Les loyers restant impayés, le contenu fut mis en vente et John Maloof, jeune agent immobilier cherchant à acquérir des photographies pour illustrer un livre qu’il était en train de coécrire sur un quartier de Chicago, acheta un lot de négatifs et de rouleaux, pour 400 euros… N’ayant pas trouvé ce qu’il cherchait, il commença à vendre les clichés sur la plateforme EBay. Allan Sekula, critique d’art, prit rapidement la mesure du talent de cette photographe inconnue et réussit à convaincre Maloof de ce qu’il avait entre les mains. C’était en 2009. La légende Maier était née. Mais il est difficile de se contenter de la légende, aussi belle soit-elle.
Françoise Perron retrace alors le parcours de Vivian Maier. New York. Ses parents, Charles Maier et Maria Jaussaud, l’échec du mariage, le retour en France dans la vallée de Champsaur où peut-être, auprès de Jeanne Bertrand, photographe reconnue, germa la passion de la jeune Vivian. C’est ensuite le retour aux États-Unis, une adolescence à Manhattan puis, les premiers petits boulots, vendeuse, ouvrière… Mais se dessine aussi la naissance d’une passion. Vivian arpente rapidement les galeries new-yorkaises et côtoie les œuvres des plus grands : « elle ne lâche plus son petit Kodak. Rêve-t-elle déjà d’acquérir un Leica tel Henri Cartier-Bresson ? ».
Grâce à un héritage de sa grand-mère, elle retourne en France et elle continue là à consigner, par l’image, toutes les scènes de vie du village auxquelles elle assiste. Ainsi, ses photos figent des instants de ceux sur qui elle se penche, mais aussi « fournissent des détails de son emploi du temps durant cette période, entre 1950 et 1951 ». À la manière de Walker Evans ou de Dorothy Lange, elle va à la rencontre des petites gens.
Les zones d’ombre de sa vie sont nombreuses mais éclairées par ce que recèle la camera obscura. « Son appareil photo est à la fois son agenda, son relevé de compte bancaire et sa mémoire. Rien ne peut être oublié. Les clichés racontent ». Rares sont les œuvres artistiques qui révèlent – au sens photographique du terme – aussi précisément la vie de l’artiste. Les clichés de Vivian Maier sont tout autant un miroir du monde que le miroir de celle qui en est l’auteure. Et quand les témoignages ne suffisent plus, quand les photos ne comblent plus les vides, Françoise Perron fait des hypothèses qui sont autant de tentatives intéressantes d’éclairer la manière dont s’est construite l’œuvre de Maier : lisait-elle la revue Aperture, « revue trimestrielle dédiée à la photo » qui parut la première fois en 1952 ? Avait-elle vu telle ou telle exposition ? Rêvait-elle de devenir photographe professionnelle ?
Le mystère Vivian Maier est aussi lié à son activité de nounou, notamment auprès de la famille Gensburg, à Chicago. Cette ville, elle la traversa, accompagnée des trois enfants dont elle avait la charge, pour y photographier frénétiquement les visages, les ombres, les reflets, son reflet. On imagine sa grande silhouette parcourant les rues, appareil photo autour du cou, dégainant au moindre surgissement du cocasse, de la belle lumière, d’un regard perdu.
Vivian Maier, en toute discrétion, de Françoise Perron, est une réussite. Un livre juste en ce qu’il traque les pourquoi d’une œuvre, et beau qui dessine un destin hors-norme. Il est une invitation à se (re)plonger dans ses images, le plus bel hommage qui soit !
Arnaud Genon
Françoise Perron est née en 1947 dans le Jura. Un parcours professionnel atypique de magistrat la conduit en Polynésie Française, puis à Cayenne, en Guyane française, où elle occupera les fonctions de juge d’instruction. Elle est actuellement présidente de l’association « Vivian Maier et le Champsaur » qui à travers expositions et articles, en lien direct avec John Maloof et Jeffrey Goldstein (les propriétaires américains de plus de quatre-vingts dix pour cent de la collection), contribue activement à une meilleure connaissance de la photographe. Françoise Perron vit dans les Hautes-Alpes, à Saint-Julien, un petit village du Champsaur.
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