Vitamines noires, Claire Boitel (par Philippe Leuckx)
Vitamines noires, Claire Boitel, éditions Rafaël de Surtis, 2020, 104 pages, 15 €
Le septième livre de la poète et romancière Claire Boitel, préfacé par le poète Frédéric Tison, peut être lu certes comme un récit de l’étrange, qu’un certain surréalisme a pu nourrir, qu’un existentialisme noir, sartrien, surtout, a généré comme une plante vénéneuse ou comme un ensemble de « vitamines noires ».
La narratrice de ce récit froid, morbide, étrangement glauque, ressemble à une figure diabolique qui elle-même serait le fruit de l’enfer ou d’un maître-créateur abominable. On suit donc avec effroi le périple, de la Surface aux profondeurs terriennes, de ce personnage (on lui donnera tardivement le prénom d’Anastasie) qui, pour s’être alimentée de légumes et vécu comme une mendiante, a regagné les fonds souterrains, sous la férule d’un maître qui lui impose tout, création, sexe, confrontations avec les Quarante – créatures du maître.
En trois parties, la médiane étant la plus longue, le roman décrit une société du futur, coupée du monde (la Surface), vivant en autarcie, meublant ses jours de fantasmes et de créations, dans un univers insolite et froid de pièces sans issue, de piscine, de repas plantagruelesques, de dialogues de sourds, d’une quête embourbée de réalité. On comprend à peine ce qui s’y passe ; on a du mal à s’attacher à ces personnages, dont les émotions sont dictées par un ordinateur et confiées sans cesse au maître d’un destin. Est-ce un monde de fous ? Est-ce une projection dans le futur d’une civilisation exsangue ? On ne le sait.
Anatole, l’un des Quarante, la Dame aux chats, aussi mystérieuse, semblent parler comme des robots, et la narratrice, secouée de contradictions, aime autant jouir qu’être l’objet d’une domination sadique. L’image de la femme, doublement victimaire, en prend pour son grade.
L’univers qui se lit dans ces pages, digne d’un enfer, fait peur. Les miroirs qu’il projette de nous, pauvres créatures, nous ébranlent, nous plongent dans un état de torpeur. Dans une esthétique des fonds, profondeurs diaboliques, souterrains infectés, la romancière relate des terreurs quotidiennes, des cauchemars d’enfants qui n’arrivent plus à sortir d’une pièce sans fond, sans porte. Un univers d’Alice désormais désenchanté, où la vie est terreur, ou songe maléfique.
On sort de ces lieux avec une folle envie de renouer avec la surface même dérisoire de notre bonne vieille terre. Les terreurs enfantines, les lieux désaffectés et privés de tout cœur qui bat, loin de nous songe-t-on !
Claire Boitel articule et désarticule des personnages qui sont loin de nous, affreux miroirs de tout ce qui nous porte à l’abomination. Même le sexe prend là des poses de bas-fonds. La narratrice ne dit-elle pas un jour qu’elle est prostituée du maître, une « prostituée intellectuelle » ? Vitamines noires résonne négativement : ce sont les pulsions, les aliments, les nutriments d’une existence infernale.
Le lecteur pourra-t-il en faire ses délices ? Le doute est permis tant la noirceur comble et efface toutes les possibilités d’aération d’un univers de taupe, à faire peur.
L’écriture, toutefois, précise, en petites saccades bienvenues, est la meilleure part de ce roman, elle englue, caresse ou pétrifie, c’est selon.
Philippe Leuckx
Claire Boitel est une écrivaine française, auteur de sept livres. Trois recueils de poésie, publiés à La Librairie-Galerie Racine. Quatre romans. Citons : Au nom des incandescences (2010).
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