Vingt-quatre heures pour convaincre une femme, Philippe Lacoche
Vingt-quatre heures pour convaincre une femme, éd. Ecriture, août 2015, 200 pages, 19,95 €
Ecrivain(s): Philippe Lacoche
Autochtones, résidents ou simples touristes de Picardie se retrouveront avec plaisir dans ce nouveau roman du journaliste écrivain et parolier Philippe Lacoche, mettant en scène en vingt-quatre heures l’histoire de Géraldine, chanteuse trentenaire dite Géa – « jolie et haute » comme la cathédrale d’Amiens – et de Pierre, modeste journaliste quinquagénaire, son compagnon de pacs apprenant, un 20 décembre 2011, que sa délicieuse créature va le quitter… Mais tous les lecteurs et lectrices en fait, qu’ils soient de Picardie ou d’ailleurs vont s’y retrouver, tant ce roman se déguste avec bonheur, comme la vie se prend, comme un bon cru. Un bon cru ici du romancier, auteur déjà de plus d’une vingtaine de publications ; un bon millésime ; un bon repas ; comme les petits bonheurs éclatants ou fragiles qui traversent l’existence…
L’intrigue de ce roman débute le mardi 20 décembre, pour se terminer vingt-quatre heures plus tard, le mercredi 21 décembre 2011, à dix-sept heures exactement. Vingt-quatre chapitres d’une heure chacun déclinant l’histoire d’un amour en perte de vitesse, défendu par le protagoniste masculin qui tente à tout prix de reconquérir sa pacsée. C’est écrire la mécanique du cœur et le rythme de ce roman, déroulé comme une course contre la montre pour sauver un amour en rade.
Pierre Chaunier (nom inspiré peut-être par la ville axonaise Chauny ?), l’anti-héros, se débat dans cette course contre la montre, la jouant malgré tout vainqueur combattif et non amant vaincu et fataliste, à l’instar de sa victoire contre la peur du passé qui le préserve d’une vieillesse à l’approche (« Vieillir n’est jamais rien d’autre que n’avoir plus peur du passé » annonce en exergue une citation extraite de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Stefan Zweig).
Le pittoresque du décor capte l’attention d’un lecteur que ces vingt-quatre heures romancées emportent, escorté de touchants personnages simples, mais peu banals.
Des personnages épris d’amour et hauts en couleur dans leur quotidienneté même, assoiffés d’absolu et de liberté, avec ce goût farouche et défendu de leur indépendance, et qui peinent à savoir confronter cette Liberté à une vie de couple d’ordinaire synonyme de conformisme. « Je ne suis pas faite pour vivre en couple ; je suis trop indépendante. J’ai besoin de liberté » se justifie Géraldine prête de quitter Pierre pour un autre nouvel amour fougueux, flamboyant (« Elle, elle ne pense plus qu’à Jean. Elle a terriblement envie de prendre le premier train pour Paris afin de le rejoindre »). Comme n’est pas banale pour Pierre Chaunier cette rupture annoncée par celle-là même qui a passé six ans de sa vie à ses côtés, « Géraldine Avranche, chanteuse, dite Géa, de son nom d’artiste », ravissante intermittente du spectacle se produisant dans un cabaret samarien Les Années Folles, après avoir renoncé à une carrière d’enseignante, belle à désirer, trop belle même peut-être pour Pierre ? (« Modeste journaliste, pas spécialement beau garçon, Pierre, quinquagénaire, se demande souvent comment il s’y est pris pour passer six ans de sa vie auprès d’une créature aussi délicieuse »).
L’anti-héros, Pierre, nous touche par sa présence et l’ambivalence de ses sentiments, entre colère, rancœur et tendresse. Comme le style et l’univers littéraire de Philippe Lacoche, pétris d’une sensibilité faite de rudesse et de générosité. Style incisif et tendre que Philippe Lacoche a l’art d’exécuter, pour transposer par le truchement de l’écriture une situation vécue, sublimée par l’écriture romanesque. Une histoire de vie condensée en vingt-quatre heures, une histoire d’amour. L’unité de lieu est respectée et la vraisemblance des situations fait mouche.
Pierre Chaunier nous touche aussi par ses ressemblances avec l’auteur, Philippe Lacoche, que l’on connaît pour ses précédents romans (Au fil de Creil, Des rires qui s’éteignent, Des matins translucides, etc.) mais aussi pour ses articles en tant que journaliste (Le Causeur, etc.) et ses chroniques Des Dessous chics signées Ph. L., alias le marquis, un « hussard rouge » de Picardie déployant pour nous chaque dimanche une prose délicieuse teintée d’une nostalgie acidulée et d’une lucidité humoristique douce-amère, « dans les pages du journal régional pour lequel il travaille ».
Pour se risquer sur le terrain des comparaisons – figures de style que cet écrivain manie aussi bien que le moulinet du pêcheur qu’il est ou que le fleuret pour un bretteur – prenons sur nous de dire que Philippe Lacoche ressemble à son personnage Pierre, comme Roger Vailland (qu’il admire) et lui se ressemblent. Dans le sens où Pierre Chaunier serait bien « tombé sur » son créateur Philippe Lacoche, comme Roger Vailland un jour est tombé sur lui. Tant leurs ressemblances transparaissent au travers des lignes. Connaissant comme lui Amiens dans ses moindres recoins, des deux côtés de la Somme, aimant comme lui la pêche, l’alcool et l’amour des belles femmes.
Philippe Lacoche raconta au public de Poulainville, commune de la Somme où avait lieu la représentation de sa pièce de théâtre, L’écharpe rouge, dans une mise en scène de Jean-Christophe Binet, avec des comédiens du Théâtre de l’Alambic d’Amiens, que l’important et l’intérêt du travail d’un écrivain était, non de traiter de la réalité de pleine face, de façon évidente et transparente, mais d’une manière moins brutale, transversale, par le truchement d’un art d’autant plus efficace et puissant qu’il filtre et transpose la réalité avec finesse et discrétion. Et c’est bien dans l’art de la nuance que réside la force de l’écrivain Philippe Lacoche. Dans l’art du contraste. Ces variations de tons et de teintes qui imprègnent même le tempérament, le caractère de ses personnages, sa propre personnalité.
Comme un homme grandi par ses propres contradictions. Comme un homme, hussard rouge dans le cœur fidèle, ne reniant pas, même admirant, tel ou tel écrivain, styliste de droite, pourvu qu’il soit à ses yeux et son cœur un véritable Auteur, un écrivain digne de ce nom (Michel Déon, Paul Morand, Pierre Benoit, etc.). Comme un homme féru de rock’n’roll consumant la perte imminente de son amour devant un feu de cheminée ou pratiquant la pêche, loisir pour le coup « pas très rock’n’roll, ni très glamour » mais pratiqué comme l’amour tout aussi passionnément.
Traquer le carnassier, draguer, aimer, prendre plaisir, maîtres-mots de ce journaliste écrivain parolier préférant tuer le temps dans le bon vivre, en élégant épicurien ou en hédoniste raisonnable, assumé et stylé du XXIe siècle.
La passion et la sincérité restent les atouts naturels de cet auteur. « L’important c’est de dire ce qu’on pense, c’est d’être sincère » écrivait le marquis des Dessous chics dans sa chronique du dimanche 27 septembre 2015 au Courrier Picard, chroniques noctambules et artistiques rassemblées, pour celles rédigées entre 2009 et 2011, dans un recueil aux éditions de La Thébaïde. Passion et sincérité : le nouveau roman de Philippe Lacoche réussit cette prouesse de suivre ces deux voies, ce chemin d’interprétation original, autrement dit celui guidé par les coups de cœur de la vie.
Non seulement le lecteur s’identifie à ces personnages en perdition, fragiles mais d’une présence forte dans leur fragilité même, mais aussi le lecteur est emporté dans ce décor réaliste laissant suffisamment de place à l’imagination de chacun(e) et ces vingt-quatre heures se parcourent pour le lecteur dans une course contre la montre captivante : celle de connaître toute l’histoire d’un amour en perdition sans vouloir franchir trop vite la ligne d’arrivée pour ne pas quitter ces personnages si sympathiques. Tout le plaisir paradoxal d’un bon roman vous tend ici les bras : 314 pages de lecture d’une histoire pas banale pour convaincre une femme… et convaincre le nouveau lecteur et rappeler aux autres que Philippe Lacoche a le style et l’élégance simples des vrais auteurs… Un écrivain attachant, mettant en scène la confusion des sentiments – « un Stefan Zweig picard » évoque Thomas Morales à propos du romancier dans son bel article Epilogue d’une rupture amoureuse paru dans Valeurs actuelles le 1er octobre 2015.
Un auteur dont l’histoire romancée ici d’une histoire quasi-autobiographique, huis-clos sentimental mêlant aigreur et nostalgie, pourrait être adaptée au cinéma, oui, ainsi que le suggère le journaliste Jean-Louis Crimon dans l’un de ses « Crimages » sur son blog crimonjournaldubouquiniste (www.crimonjournaldubouquiniste.com/). Quel beau film cela ferait ! s’exclame à juste titre J.-L. Crimon.
En lice aux côtés de sept autres romans pour le Prix Interallié, Vingt-quatre heures pour convaincre une femme a plus d’un atout pour séduire : prose pittoresque, usage expressif et stylé de la comparaison, personnages émouvants, univers romanesque façonné par la sensibilité à la fois rude et tendre d’un « Français définitif » fidèle à la mémoire de son pays et à celle de ses compagnons parfois restés en rade. À coup sûr ce Prix, s’il lui était décerné, récompenserait non seulement l’œuvre d’un journaliste comme le prévoit à l’origine l’objectif du Prix, mais aussi un journaliste peu banal, pour un roman pas moins banal qui, sublimé en œuvre d’art, nous offre un véritable condensé d’une histoire de vie, de la vie de chacun : une histoire inoubliable et bouleversante d’amour.
Murielle Compère-Demarcy
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