Vies héroïques, Daniel Kay (par Didier Ayres)
Vies héroïques, Daniel Kay, Gallimard, septembre 2024, 114 pages, 15,50 €
S’approcher
Le dernier livre de Daniel Kay consiste en un art du portrait – portraits, je pense, plus proches d’Arcimboldo que de Bonnat –, soutenu par une étrangeté et parfois du comique. Je veux dire qu’il y a une invention propre. L’on ne reste jamais sur le même registre et l’on suit avec intérêt l’évolution de l’auteur à travers sentences et anecdotes. L’on y trouve peut-être un peu de Borges, du Roberto Bolaño, des Caractères de La Bruyère, en tout cas une facétie intelligente et instructive. Quoi qu’il en soit, le livre domestique l’étrange, le saisit, le capture, l’aliène.
Cette littérature est une domestication, une appropriation, qui rend proches des êtres réels ou de fantaisie, imposant souvent une vision du monde ; dans la proximité des êtres, avec une certaine tendresse parfois. Du reste, cette écriture se réclame sans doute mieux de la fiction, d’un arrière-monde fictionnel, que d’un naturalisme, il me semble.
De ce fait, l’on peut voir aussi ici une forme d’aveu de l’auteur, une sorte d’autobiographie de l’écrivain en sous-texte. Ces vies héroïques sont celles de personnages, de figures plus ou moins égales en notoriété, parfois de très simples êtres humains ou au contraire de très grands. Le principe est le même : rendre étrange.
Emil Cioran
Il déambulait, rive gauche, de Saint-Germain à Odéon, l’idée du suicide en bandoulière. Il eût souhaité parmi les passants reconnaître des saints mais ne rencontrer que des hagiographes.
Ou
Gastronomie
On a dit que Denis Diderot est mort après avoir mangé de la compote de cerises, lui qui a dégusté tant de beaux fruits chez Jean Siméon Chardin.
Le secret de cette fabrication de personnages, petits ou grands, mais toujours héroïques, épiques, revient à peindre des individus fictifs, impondérables, à faire d’eux des êtres de papier – d’où le sentiment d’étrangeté tout à fait net (il y a ce même sentiment dans Kafka, mêlé d’un peu d’humour). Chaque portraiture fait l’objet d’un fragment, plus ou moins étoffé, miniatures qui se présentent sous forme souvent assez brève, rebondissant aisément de chimère en chimère.
Ce faux réalisme sonne très juste, reste approprié à une excentricité et en un sens, à rendre vraies ses fausses vies, ces vies de papier. Cette écriture grossit telle ou telle qualité ou défaut de l’objet de chaque fragment, déforme tel détail biographique, invente, plaque du mécanique sur du vivant, tout en semblant improvisé, léger, sans conséquence, ce qui est un des traits majeurs de la littérature française.
Un plagiaire
Souvent il s’adonnait à la chasse aux papillons, toujours dans le jardin des autres.
Didier Ayres
- Vu: 430