Veiller sur elle, Jean-Baptiste Andrea (par Anne Morin)
Veiller sur elle, Jean-Baptiste Andrea, L’Iconoclaste, août 2023, roman, 581 pages, 22,50 €
Edition: L'Iconoclaste
Ce n’est pas une histoire, c’est une transposition… Voir à côté, en dessous, au-dessus de la ligne de vue… Ce n’est pas pour rien que Mimo – de son vrai prénom Michelangelo – est petit, et que son nanisme l’oblige à lever les yeux pour voir le rendu des choses, du ciel, des hommes. Mimo est, depuis toujours, un sculpteur de génie et/mais un rustre, rustique, mal dégrossi comme les sculptures à leur origine, avant de rencontrer Viola.
Elle, qui depuis ses trois ans sait lire, et qui depuis, n’oublie rien de ce qu’elle a lu. C’est une enfant, une adolescente un peu sauvage, un peu cachée par sa famille de noble souche.
Viola, comme l’origine de son prénom, à la fois papillon, plante, instrument de musique.
Entre cette jeune fille, puis cette femme gracile et longue qui attend que quelque chose se révèle et cet être fruste qu’elle apprivoise, dont elle pressent l’esprit, des courants, des ondes de choc, des détournements de sens, d’appréhension.
Rien n’est dit, mais par grandes ébauches, le dessin est à l’œuvre, effritement et renaissance, approche et distance, tout est tu sauf l’essentiel, dont l’auteur découvre là où il veut en venir : « La forme se leva lentement, s’arrachant à la dalle, et avança d’un pas hésitant vers moi. Tête baissée, le visage caché par un voile noir » (p.70).
Mêlant événements réels – L’Italie fasciste, les guerres de pouvoir, les guerres et les événements naturels, Mimo s’exprime dans le marbre, fondu enchaîné.
Qui devine qui ? Qui devine quoi ? dans ce perpétuel va-et-vient des personnages entre le caché, le secret, l’indicible et les actions – souvent violentes – ce que l’on appelle le déroulement des choses ?
Même jeu de Mimo entre la réalisation statuaire qu’on lui demande et son interprétation : « La clé, saint Pierre l’avait lâchée (…) L’effet était saisissant. Dieu avait choisi l’homme qui avait renié trois fois son Fils pour fonder son Eglise. Un pécheur. (…) Au lieu d’un saint extatique, d’un retraité de la foi bien en chair et pétri d’ennui, saint Pierre tremblait de frayeur devant sa mission, devant l’objet trop lourd pour ses vieilles mains, qui venaient de le trahir » (p.312).
« J’avais sculpté François la main levée près de sa joue, un oiseau perché sur l’index. Jusque-là, rien d’anormal. Mais l’on devinait, par une audace insensée de ma part, que l’aile de l’oiseau avait dû frôler son cou dans la seconde d’avant, le chatouiller, car le saint souriait » (p.398).
Les personnages sont saisis dans un moment d’éveil, de simple vie, de mouvement arrêté, mais de mouvement quand même.
Que cache ou révèle cette Pietà Vitaliani qu’il a réalisée ? cette Pietà qui provoque un tel mal-être à nombre de ses spectateurs – interprètes ? à tel point qu’il faille la cacher, l’enfermer comme une malédiction ? Pourquoi un tel dérangement quand rien ne se donne à voir ? Le pas est franchi, comme une explication donnée par Mimo à propos d’une œuvre de Magritte : « (…) et moins le public comprenait, plus il s’extasiait » (p.398).
Suivre, ou se détourner, être peut-être touché, mais pas atteint.
Anne Morin
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