Variation sur Les femmes qui rient, Mylène Besson (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Les invitées
L’Obscure boutique des amantes
Prologue
Si l’érotisme dégrade l’être humain il le dégrade moins que le sacré. L’utérus seul est souverain. Il fait de nous le joueur et le joué. L’être n’est donc jamais en dehors de l’érotisme. Souvent néanmoins il y est mal engagé tant il est pris dans ce piège qui dès l’enfance et parfois jusque dans ses derniers âges le fait rougir.
L’érotisme partagé libère de la violence de la servitude, de l’assujettissement aux calculs. Il n’ignore pas jusqu’où où l’être peut aller. Ce dernier soudain accepte les accords estimés inavouables. Certains croient monter alors les marches d’un échafaud : ils ne font que détruire dieu que la piété désigne de toute sa hauteur. L’érotisme appelle son absence et sauve les supplicié(e)s.
*
Dans son atelier Chemin de Haute Bise, Mylène Besson dessine des corps qui n’imaginaient jamais s’oser dans la représentation de leur « simple appareil ».
Il n’y a pas là de modèles mais des proches, des amies, des « sacrifiées » mais volontaires qu’il fallut il est vrai parfois pousser (comme elles l’écrivent ici lorsqu’elle raconte leur façon de se « dérober »).
Il est à parier que l’auteur comme son éditrice (elles sont inclues dans la litanie corporelle) ne connaissent que des femmes exquises et il faut bien l’avouer grise le voyeur.
Certaines pourtant ne sont plus jouvencelles mais il n’y a rien à jeter ni de leur cœur, ni de leur corps (il est vrai que passé un certain âge le premier façonne le second).
De telles images donnent de l’espoir et font vibrer. La nudité pourrait sembler superfétatoire mais de fait elle est indispensable.
Rassemblées par Mylène, les femmes apprennent à vivre ensemble. Y a-t-il eu lors des poses quelques caresses ?
Les images ne sont pas là pour le dire : du moins pas en totalité. Presque rien ne (se) passe, mais le presque est un tout. Il emporte sur son passage. Comme la marée.
Ce presque s’appelle le sentiment qui commence par « a » et finit par « mour ». Celui-ci n’a pas d’âge et permet repasser vers des images vivantes.
La mer monte dans la motricité de cette émotion. Des mères redeviennent femmes et prouvent qu’avec le temps tout ne s’en va pas mais revient. Doucement. Et avec humour.
Mylène Besson et les écrivains qui l’entourent (dont Annie Ernaux) parlent de ce qui n’est pas vraiment mais de ce qui est et qui demeure en instance de…
Les amantes sont comme celles de Duras : coupées du monde. L’amour reste le philtre mystérieux qui unit et sépare. Il n’a pas d’âge. Avec le temps tout ne s’en va pas.
Prendre l’amour quand il passe c’est rêver haut l’espace jusqu’au cœur de la nuit dans la nef des fous du lit. A fleur de peau et de désir pour le grand départ du plaisir. Il se donne sans compter et se met à brûler à fleur de souffle et de ciel.
Bref le démon du paradis tient la lumière par la nudité. Et de tels dessins reviennent à vivre plusieurs vies à la foi. La créatrice les tisse. Elle sait dépasser les lignes d’ombres pour donner de la chair au ventre chaud des équateurs de ses invitées.
Jour après jour l’artiste s’est enfoncée dans ses images. Et leurs paysages nous traversent en nous rappelant qu’amour bouillu n’est pas foutu.
Sous la grande table de l’atelier, les jambes de l’artiste se croisaient et se décroisaient. Dansaient parfois un Orfeu Negro, una sarenata negro. Il en faudrait peu pour que du café au lait nous passions au café au lit…
Et s’imaginer aussi courir derrière ces femmes près d’une mer de corail. L’esprit court vers elles et veut jouer à cache à cache. Et une femme plus mutine que les autres lui dit : « si tu ne me trouves pas je suis cachée dans le jardine.
Les moindres tabous volent en éclats sous le graphite. Un acquiescement insolite au monde s’éclaircit. Par tous les angles, l’artiste en apprivoise la surface comme elle l’écrit et le montre dans ses dessins préparatoires.
L’image retient, disperse en poussière narrative. Plan fixe, mouvements. Raison vole. Le corps des Sirènes si reines flotte, coule, roucoule., gourmand de sa gourmandise.
Accord tacite. A corps partagés – du moins dans le fantasme. Dans le regard tactile le toucher est lueur. Bras, jambes circulent. Ils ont besoin de place.
Chaque modèle moelleuse est démesurée en ce qui s’entrouvre tant que faire se peut.
Chaque femme est d’un ailleurs mais elle reste si proche, effacée de la fresque commune par le choix de Mylène. Trou dans la haie. Corps quittant ses muselières.
Murmures chuchotés. De chaque sourire les frémissements des franges des lèvres.
Etreindre le corps fuyant du mystère. Femmes au bois mordant. Feu sous la cendre, nuit sur la nuque.
Au milieu des dessins clignote une lucarne. Tirer cette affaire au clair de chair. Aux grands aux mots le grand remède de l’image.
Terrestre hymen où l’héros tique. Côté ouest femme fanal lâche du lest d’un geste ébauché. Voiles prennent le large. En ces contrées : les cheminées décoiffées des fées ont plus que des échancrures corsaires.
Formes osées. Incessants gisements. Lait mental. Images s’amoncellent allant nier l’essieu. Montez rideaux. Tu tires les ficelles.
Les femmes sont les diablesses de la sainte chapelle. Leur corps est disposé de façon à glisser dans la région où la pensée n’est que panier percé.
Le voyeur regarde au fond de l’entre val où le vrai se fait suggestion. Les jambes s’y lisent à peine entr’ouvertes. Le feu s’y scelle. S’imagine l’architecture des X et des Y.
Géométrie des abscisses élémentaires. Noyaux d’ombre centraux. Doux est l’âtre en son chevêtre. Pliures d’ombre, chemin frayé par degrés autour des cuisses sabrant l’azur pour mieux suivre son cours où le désir croît jusqu’à sa baie.
Jean-Paul Gavard-Perret
Les femmes qui rient, Mylène Besson, Editions Regard, 2018, dessins de l’artiste, texte inédit, Les médusantes, Annie Ernaux, photos Maxime Godard, vidéaste Olivier Berardi, Gérard Cottet, 144 pages, 25 €
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