Vagabonde, Fumiko Hayashi (par Philippe Leuckx)
Vagabonde, Fumiko Hayashi, éditions Vendémiaire, septembre 2022, trad. japonais, René de Ceccatty, 192 pages, 20 €
Fumiko Hayashi fut dans les années trente une romancière à succès. Née en 1903, elle mourut en 1951. Son parcours, presque invraisemblable, la conduisit à travers le Japon, dans des périples qui lui donnèrent matière poétique et romanesque. Quel destin, que ces aventures existentielles, sentimentales d’une écrivaine, issue d’un pauvre milieu, obstinée à devenir ce qu’elle fut, une romancière et une diariste exceptionnelle.
Le texte, que nous découvrons, appartient à la veine à la fois du récit de vie et de la chronique des jours. Tout y prend place : la quête du travail, de l’argent ; les relations avec ses parents ; celles avec ses partenaires (amants, mari). C’est relaté avec réalisme et poésie. Le récit se voit ainsi truffé de poèmes et de références.
Vagabonde déroule le fil d’une vie, malmenée, contrainte, difficile. Gagner un yen relève du parcours du combattant et nombre de passages évoquent cette quête essentielle de l’argent, ne fût-ce que pour se nourrir et trouver un logement décent. La jeune femme tient ainsi mois après mois le journal de ses activités. Elle a tout fait : elle a été serveuse, ouvrière en usine, prostituée, etc. Sa vie connaît toutes les régions du Japon, et l’amène à Okayama, Kyoto, Tokyo, Hokkaido…
On est éberlué de voir que rien ne l’arrête, ni les revers sentimentaux ni les tracas financiers ni la solitude foncière. Parfois, une embellie provient de la parution en revue et rétribution d’un conte pour enfants. Sa carrière est ainsi entamée dès ses vingt ans.
La qualité de l’écriture, qui ne bute contre aucune complaisance, aucune concession, offre au lecteur un tableau inouï de l’époque décrite. Le désarroi frôle les petits plaisirs partagés avec des collègues de travail, les ennuis côtoient les petits bonheurs, ces repas gagnés de haute lutte. La jeune femme pense à envoyer à ses parents le peu qu’elle peut gagner. Ils ont toujours eu des métiers précaires. Le Japon, ainsi dévoilé, n’est pas seulement le pays enchanteur d’un imaginaire codifié, mais une terre parfois ingrate pour les exclus, les artistes, les écrivains, le peuple des campagnes, les errants.
L’errance, thème fondamental, et éminemment moderne (avant les road-movie des années cinquante), montre à quel point un personnage peut être soumis aux aléas de la vie. Hayashi dénonce aussi les soubassements économiques d’une société figée.
Ce journal-chronique, d’un réalisme époustouflant, nous fait entrer dans l’intériorité d’une conscience aiguë, très au fait de son temps et de ses valeurs.
Une belle découverte. Une occasion de se plonger dans un univers partageable.
Philippe Leuckx
Fumiko Hayashi, née en 1903, décédée en 1951, est une romancière japonaise. Elle a écrit : L’automne est arrivé ; L’éclair ; Journal de Paris ; Nuages flottants. Etc…
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