Vagabond, Franck Bouysse
Vagabond. Ecorce Editions. Mai 2013. 85 p. 10 €
Ecrivain(s): Franck Bouysse
Un mot d’abord – après tout c’est le premier acte d’une lecture - sur la qualité de l’édition, livre soyeux au toucher, à la couverture élégante et à la typographie impeccable. Jeune et prometteuse maison « Ecorce » qui compte déjà une dizaine de bouquins à son actif. On la suivra avec intérêt.
La plume de Franck Bouysse est sombre et affutée. Elle lui permet de tisser dans ce court roman (longue nouvelle ?) une trame narrative à la fois âpre et aérienne. Comme un blues – de Robert Johnson pourquoi pas, souvent cité. Comme une métaphore sonore de la traversée de biais d’un homme perdu, le narrateur. Perdu dans ses souvenirs, harcelé par ses regrets, ancré dans ses passions, dans ses figures du destin parmi lesquelles émergent la musique et une femme. Réelle, rêvée. Peu importe « divine », la divine Alicia, « un surnom emprunté à Ava Gardner ».
Le plaisir du lecteur vient de l’art de la suggestion, préférée par Franck Bouysse à la narration réaliste. Il fait ainsi suinter, comme dans un goutte-à-goutte permanent, l’inquiétude, la menace – de quoi, on ne le sait avant la fin -, la noirceur. La ville – Limoges – est à peine évoquée, juste assez pour incarner la solitude, la nuit, la dérive erratique du personnage central :
« Il savait la place de la République juste derrière lui, aussi large et austère qu’un parking désaffecté (…) »
Le pèlerinage à la demeure ancienne, celle de l’enfance, pourrait être le début de la rédemption, des fondements de la résurrection. Il n’en sera rien car ici le roman noir a trouvé une fois pour toute sa couleur.
« On avait coupé le cèdre du parc et planté un feuillu à proximité de la souche. « Un cèdre du Liban », lui avait dit un jour son père. Depuis le portail, il vit passer une silhouette derrière une fenêtre entrouverte et il se baissa de peur qu’on le voie. On ne le vit pas. Il longea le muret caché depuis la maison par une haie de troènes. Ce muret sur lequel il grimpait quand il était gamin, cette haie derrière laquelle il se glissait, attendant qu’on s’inquiète de ne plus le voir, de devenir quelqu’un d’important. »
La rencontre avec la mémoire ne se fera, tout au long du récit, que comme le bilan des douleurs sans fin.
Ce beau livre s’achève sur un poème en prose somptueux, construit en anaphores qui lui donnent un rythme et un chant de marteau-pilon meurtrier, celui qui frappe encore et encore le cerveau égaré du narrateur, celui qui laisse le lecteur avec le sentiment de sortir, à peine, d’un voyage rugueux dans l’hiver et dans la nuit.
« (…)
Je pense à ces supplices qui sont parfois conscience, qui font qu’un corps arpente toutes les faces nord pour trouver un sommet.
Je pense à l’imposant dédale dans lequel on se cherche, dans lequel on se perd et duquel on s’échappe pour sombrer dans un autre.
Je pense à un cadavre mou, recouvert d’une robe de satin blanc. »
Franck Bouysse signe là un blues de jais qui prend à la gorge.
Leon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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