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Union Sacrée… Voie Sacrée… Verdun !, par Vincent Robin

Ecrit par Vincent Robin le 19.03.16 dans La Une CED, Les Chroniques

Union Sacrée… Voie Sacrée… Verdun !, par Vincent Robin

 

Au bout de la route… : massacrés gisant partout dans une fétide gangue de terre fangeuse à jamais délavée par les brouillards. Des cadavres sont agglutinés là, prostrés et figés, enfouis en unités disparates et confuses dans des substrats de glaises ténébreuses. Sous les couches spongieuses de ce terreau partout chamboulé et recouvert de répétitifs leurres sédimentaires, s’entassent ou s’entrecroisent parmi les éclats d’acier indestructibles leurs restes humains entrechoqués, disloqués, éparpillés. Les têtes ne sont plus que des morceaux de crânes démolis, les bras et les jambes, des tibias et des fémurs aux délirantes fractures. Les chairs ne collent plus à eux. En cet état, leur nation, leurs proches ni même leur mère n’auraient pu les reconnaître.

Comme révulsée par leurs enfouissements indus dans sa matière putride et après cent ans encore, la terre indocile continue de les rejeter vers la lumière. Ne serait-ce pas d’ailleurs plutôt leur irréductible attirance vers les souffles de l’air libre qui les pousse obstinément à s’en extraire ? Ils refusent de dormir et leurs insomnies bruyantes perturbent notre sommeil. Pourquoi refusent-ils de se taire malgré tous nos efforts d’apaisement ?

Une grande quantité de ces individus morts fut ré-enterrée en lignes sous de longs tabliers d’argile aplanis, sur des longueurs de terrains agencées en vastes parcelles de gazon verdoyant. L’une de ces aires, la plus longue, s’étire toujours à l’infini autour d’un poteau droit, blanc et fier. Mât sacré qui élève à jamais les âmes innombrables des ensevelis à son pied. Elles épient grâce à lui et à n’en point douter les étendues balbutiantes de l’environ définitivement résorbées en successions de bosses et cratères.

Ici les déluges bruyants du ciel ont répandu le chaos silencieux sur terre. Ils ont couché les hommes tout en prenant la peine de creuser sommairement leur cimetière. Mais par-dessus ces sépultures finement recouvertes d’espérance vitale et déjà longuement foulées ou profanées par les pas déboussolés de la continuité humaine, s’agite et se drape comme une flamme de vie ardente et insubmersible le linge flamboyant des couleurs du sacrifice sanglant et glorieux. Pourrions-nous le saluer comme l’avaient fait ceux qui gisent là ? Puissant bâtiment remontant des profondes entrailles de la terre, un gigantesque navire de béton émerge à son tour à la crête du lieu, cales et soutes remplies de ces masses âcres et imputrescibles que ne seront jamais parvenus à digérer les sols du secteur. Sans fin alors, le haut périscope érigé sur lui guette tout autour, grâce à son œil rotatif en permanente alerte, les inépuisables remontées en surface des naufragés terrestres de l’incurie…

Aux nombreuses vies autrefois si douloureusement éteintes dans ce périmètre, qui ceinture le site de Douaumont et vient amèrement lécher Verdun sur son bord, se verront dédiés pendant les trois cents jours qui viennent les témoignages actifs de la reconnaissance.

Laquelle ?

« On les aura ! ». Il avait été ce cri d’espoir vengeur bientôt lancé, que tous les défenseurs avaient entendu. Pour la plupart, ils étaient hommes de la terre. En ces lieux, au cœur des innombrables sillons retournant unilatéralement les sols, auront-ils jamais pensé que leur propre dépouille éparpillée en miettes deviendrait bientôt la semence d’aucune récolte ?

Certaines plumes sages réunies nous permettraient-elles de le savoir enfin ?

« Honneur à nos grands morts. Grâce à eux, la France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours soldat de l’idéal » (Georges Clemenceau)

« L’avenir, fantôme aux mains vides, qui promet tout et qui n’a rien ! » (Victor Hugo)

« La guerre est un mal qui déshonore le genre humain » (Fénelon)

« Le patriotisme, c’est l’esclavage » (Léon Tolstoï)

« Les vrais vaincus de la guerre, ce sont les morts » (Ernest Renan)

« Paix et liberté ne peuvent être séparées, car personne ne peut être en paix tant qu’il n’est pas libre »(Malcolm X)

« On n’est jamais si éloquent sur la paix que lorsqu’on vient de gagner une guerre » (Jean Dutour)

« Ce serait un crime de montrer les beaux côtés de la guerre, même s’il y en avait ! » (Henri Barbusse)

« Ce n’est pas seulement le monde qu’il s’agit de changer ; mais l’homme » (André Gide)

« Un jour on verra surgir à l’horizon des menaces de paix. Or, nous ne sommes pas prêts » (Tristan Bernard)

Tant de morts l’auraient-ils été pour rien ?

Lorsque les sols se sont imprégnés ou enrichis de la culture des vivants et des morts qui les ont pénétrés ou engloutis, ne doit-on pas voir ce qu’ils ont défendu ?

Verdun se commémore comme une hémorragie…

Sain retour de conscience.

 

Vincent Robin

 


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A propos du rédacteur

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Rédacteur

Domaines de prédilection : histoire, politique et société

Genres : études, essais, biographies…

Maisons d’édition les plus fréquentes : Payot, Gallimard, Perrin, Fayard, De Fallois, Albin Michel, Puf, Tallandier, Laffont

 

Simple quidam, féru de lecture et de la chose écrite en général.

Ainsi né à l’occasion du retour d’un certain Charles sous les ors de la République, puis, au fil de l’épais, atteint par le virus passionnel de l’Histoire (aussi du Canard Enchaîné).

Quinquagénaire aux heures où tout est calme et sûrement moins âgé quand tout s’agite : ce qui devient aussi plus rare !

Musicien à temps perdu, mais également CPE dans un lycée provincial pour celui que l’on croirait gagné.

L’essentiel paraît annoncé. Pour le reste : entrevoir un rendez-vous…