Une vie entière, Robert Seethaler
Une vie entière, octobre 2015, traduit de l’allemand (Autriche) par Élisabeth Landes, 157 pages, 18 €
Ecrivain(s): Robert Seethaler Edition: Sabine Wespieser
La vie peut-elle être désespérante ? Et dans ce cas, pourquoi s’accrocher à elle ? Ces questions trouvent des réponses dans le roman, saisissant, de Robert Seethaler, Une vie entière. Il s’agit de la vie d’Andreas Egger, jeune paysan né – peut-être ? – le 15 août 1898, dans un village des alpes autrichiennes. Il naît orphelin, battu par l’homme qui l’a recueilli chez lui, un certain Kranzstocker, au point de le rendre boiteux. Le roman débute par la découverte faite par Andreas Egger de Jean des Cornes. Ce dernier agonise sur sa paillasse, Andreas Egger le porte jusqu’au village sur un sentier de montagne long de plus de trois kilomètres. Premières souffrances, douleurs préliminaires de la vie.
Il tombe amoureux de Marie, jeune femme embauchée à la ferme où il travaille, parvient à la rejoindre clandestinement dans le village, mais ne parvient pas à entamer une relation pleine avec cette femme, ne peut lui exprimer son amour, faute de maîtrise suffisante du langage, et ne peut consommer cette relation jusqu’à son terme naturel…
Il a conscience de la nécessité de sortir de cette impasse : « Il brûlait de lui demander sa main, le jour même autant que possible, au plus tard le lendemain. Mais il ne savait absolument pas comment s’y prendre. Des nuits entières, il resta assis sur ce seuil construit de ses mains, à fixer l’herbe à ses pieds au clair de lune, en ressassant ses propres insuffisances. Il n’était pas fermier et ne voulait pas l’être ».
Pourtant, le sort, déjà exceptionnellement cruel pour cet homme, s’acharne encore, par la survenance d’une terrible avalanche, décrite par l’auteur en des termes dantesques : « Dix-neuf bovins, vingt-huit porcs, d’innombrables poules et les six malheureux moutons du village y laissèrent la vie. Des jours durant, la puanteur des chairs calcinées empesta l’air et couvrit l’odeur du printemps ».
Marie, cette femme aimée quasi-virtuellement, trouve la mort à l’occasion de cette catastrophe naturelle. Plus tard, mobilisé pendant la seconde guerre mondiale, Andreas Egger est fait prisonnier dans le Caucase. Libéré en 1951, il endure durant sa captivité à Vorochilovgrad les souffrances dues à la malnutrition, au froid, fréquente encore une fois la mort de près : « La mort faisait partie de la vie comme les moisissures faisaient partie du pain. La mort, c’était la fièvre, la mort, c’était la faim ».
Pourtant, Andrea Egger est embauché après la guerre par la société Bittermann & Fils, qui est impliquée dans la construction d’un téléphérique. La mise en route de ce dernier, l’arrivée des touristes donnent à ce lieu un tout autre visage ; celui d’une ville « où le maire n’est plus nazi, à la place des croix gammées, les géraniums ornent de nouveau les fenêtres des maisons ». Après avoir exercé le métier de guide de montagnes et constaté la capacité d’oubli de ses concitoyens, Andreas Egger s’éteint, dans le froid…
Le roman de Robert Seethaler illustre l’omniprésence de la douleur et de la souffrance dans une vie humaine, et aussi la tentative, vaine dans le cas du personnage, d’en atténuer les aspérités et les rigueurs.
Stéphane Bret
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