Une verrière sous le ciel, Lenka Hornakova-Civade
Une verrière sous le ciel, février 2018, 18,50 €
Ecrivain(s): Lenka Hornakova-Civade Edition: Alma Editeur
Automne 1988. Paris, gare de l’Est. Ana, une jeune tchécoslovaque de 18 ans, à Paris pour une colonie de vacance organisée par le Parti communiste tchèque, décide de ne pas prendre le train du retour. En plein doute, elle erre dans Paris jusqu’au Père Lachaise. Près de la tombe de Modigliani, elle y rencontre Grofka – « elle doit être une fée, voilà ce que je pense » – qui va lui trouver un point de chute et lui faire rencontrer quelques personnes.
Au début Ana semble un peu perdue, mais c’est peut-être aussi une volonté : elle parle peu, elle écoute. Elle pense à son passé, hier à Prague, à ses parents et à leur difficile relation. Elle tente de concilier les souvenirs, ce qui lui a été inculqué dans sa jeunesse, avec l’instant présent, tout en essayant d’y lire le futur. Elle qui a des aspirations, qui a choisi de forcer son destin, confronte ses rêves et la réalité.
Petit à petit, grâce aux personnes qui l’entourent, Ana va faire l’apprentissage de la réalité, du monde, de la politique, de l’art, de la langue, de l’amour, de la vie… Elle va (ré)agir. Et (re)parler. Et se (re)trouver. Un an après son arrivée à Paris, des événements, parfois tragiques, volontaires ou non (la maladie), personnels ou à l’échelle du monde (la perspective de la chute du mur de Berlin) vont influencer les choix faits par certains personnages, et les siens. Le monde d’Ana à la fois vole en éclats mais se construit… Jusqu’à son choix final.
Une verrière sous le ciel est un roman d’apprentissage, d’initiation, sur fond d’Histoire. En posant pour Albert, sous la verrière de l’atelier du peintre, Ana se pose des questions sur l’art : « Puis-je me défaire de la manière de regarder qu’on m’a inculquée dès l’enfance ? Suis-je capable de voir la beauté, si toutefois elle existe ? ». Cette question sur l’art et sur elle-même vaut également pour les autres thèmes de ce roman : la culture, la liberté. Anna fait l’apprentissage d’une langue et d’une culture, entre Prague et Paris, la Seine et la Vltava, les contes tchèques et les poèmes d’Apollinaire. Elle s’initie à la politique, symbolisée par les fleurs : l’œillet, la rose, le muguet. C’est aussi un roman sur la liberté. La liberté qui ne va pas de soi, la liberté qu’il faut conquérir, la liberté et ses limites.
Comme souvent avec les romans qui ne sont pas écrits dans la langue natale de l’auteur, le style est particulier. L’écriture est à la fois puissante et chantante, poétique et énergique. Enfin, si ce roman débute (et se poursuit) de façon « réaliste », le lecteur peut avoir le sentiment d’être parfois entraîné dans un univers qui s’apparente à celui du conte. Certains personnages sont comme les fées des contes, qui accompagnent, sous de bons ou mauvais auspices, l’héroïne. Explications : dans un chapitre « Lignes de suite » qui suit le mot « fin » du roman, l’auteure avoue que « il était une fois » est toujours le point de départ de ses romans.
Lionel Bedin
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