Une seule pierre dans la fronde, Jean Maison (par Didier Ayres)
Une seule pierre dans la fronde, Jean Maison, éd. de Corlevour, mai 2022, 14 €
Force
J’ai lu d’un trait le nouvel ouvrage de Jean Maison. J’y ai vu une écriture serrée, dense, dominée, maîtrisée profondément et ouvrant sur un monde symbolique fort et capiteux. Car derrière cette expression qui semble flaubertienne, espèce d’écriture de gueuloir, l’on devine un univers spirituel lui aussi abouti, presque chantant de joie, une spiritualité simple et puissante. Le poète est occupé – à la fois comme un territoire occupé rendant prisonnier, habité par une prière et occupé à prier, à espérer – par ce que devient le poème. Jean Maison est occupé de l’esprit dans l’Esprit.
Un cheval de trait règne sur le monde
Tire un tombereau chargé d’éclats de silex
Et reflète sur le fer de la roue
L’enclos imaginaire de la voix
De ce fait, le travail du poème figure matériellement une réalité mimétique et immatérielle, ce qui est l’aporie première de tout texte poétique. Et si l’on admet que les vers ici sont autant de prières, on devine ce qui est tu, ce qui est silence (car s’adresser à la divinité est une dialectique entre le parlé et l’attente d’une parole). Mais quelle merveille ce silence plein et joyeux, inquiétant et sublime ! Du reste, sachant que Jean travaille la nuit à la lueur d’une chandelle, j’imagine parfaitement le silence de son séjour, silence brûlant et assourdissant – j’en ai eu comme lui l’expérience en Corrèze.
Son poème est donc tout sauf du brouhaha, tout sauf une pose ou un mensonge. Son texte bourdonne de la présence champêtre, de cette sorte d’exil, à l’intérieur d’un monde connu et arpenté.
Te voici
Entre deux portes
Craignant la mort
Le poète et son texte cherchent à montrer l’invisible, mais sans abstraction, juste en soulignant ce que la nature, la Nature, contient en elle de mystère et d’évidence. L’on sait bien cela dès lors que l’on a vécu au milieu des bois. Ils cherchent, ce que peut-être Teilhard de Chardin mettait sous le mot conscience, c’est-à-dire, la vie, l’esprit de la vie, conscience qui traverse l’inerte jusqu’à Dieu. Le texte ici est vêtement dont le fil de bâti est retiré, laissant apparaître avec la couture, la tunique de lumière du croyant.
Didier Ayres
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