Une poésie exprimant la mort - à propos du Jouet triste de Ishikawa Takuboku
Jouet triste de Ishikawa Takuboku, éd. Arfuyen, octobre 2016, trad. Jérôme Barbosa, Alain Gouvret, 104 pages, 14 €
Que reste-t-il aux poètes devant la mort ? Rien, sinon l’expression de la mort elle-même, et Le Jouet triste, recueil posthume de Ishikawa Takuboku, le prouve et l’illustre avec éloquence et un raffinement extrême. Oui, une poésie adossée à la mort, aux heures de quelques ultimes instants, les dernières saisons vécues par l’artiste, hantées par la description de son calvaire physique, son témoignage de tuberculeux au temps où la maladie était sans remède. Bien sûr, il est facile a posteriori de dire que la mort était le centre de cette poésie, de dire que la mort était présente à l’esprit du poète avec clarté, mais il y a trop de lucidité du poète tuberculeux pour sa propre maladie, trop de souffrance qui transparaît, pour affirmer que cette action triste était inconsciente. Oui, sans doute Ishikawa Takuboku savait sa fin proche et écrire ces derniers poèmes était sans doute encore un dernier cri.
Donc le lecteur, aujourd’hui, lit cette poésie du moment, cette contemplation réaliste de l’angoisse de souffrir et de disparaître, comme une métaphore, un sujet proche de mourir, et qui dit mourir sans la vraie mort – ou plutôt avec la vraie mort. Ce qui est frappant, si l’on s’attarde un instant à cette cantilène morbide, c’est la réelle obsession du poète pour l’intransitivité de son expression poétique, et la multiplication presque entêtante du choix des verbes intransitifs de mouvement ou d’être ; ce qui laisse le lecteur aux prises avec une sorte de fatalité sans objet, une littérature hautement nostalgique et sans remède, et aussi une foi vive dans la possibilité pour la poésie de se saisir de la mort et de sa cohorte de douleurs.
Passer sans problème à travers ce mois encore
je ne désirais rien d’autre –
dernier soir du mois.
Ou :
J’ai tenté de me lever,
aussitôt j’ai voulu me rallonger
mes yeux sans force adoraient cette tulipe !
Ou encore :
Ce que pensent tous ces hommes
il m’est difficile de l’estimer,
aujourd’hui aussi j’ai vécu calmement.
Par ailleurs, nous sommes au cœur de l’homme, de l’être humain et de sa physiologie de personne malade, avec des poèmes écrits parfois depuis la chambre d’hôpital, au milieu même des souffrances dont Takuboku est la victime, où il n’hésite pas à décrire, par exemple, le travail de la glace qui fond (seule médecine de l’époque contre cette infection du bacille de Koch), ou déplorer la perte imminente de l’amour de ses proches (enfant, femme, amis). Il est possible, du reste, de faire figurer ces tankas d’une grâce glaçante – et il est difficile de juger de la rigueur académique du poète envers cette forme, laquelle précède le haïku, et qui en français ne peut se restituer sans dommages – au rang de l’expressionisme allemand en particulier, de la poésie bien connue de George Trakl, qui ici remplace l’euphorie malsaine des vapeurs d’éther, par la terreur pure et simple d’une réalité de la maladie sans voile.
Comme une bougie qui se consume
en grésillant,
le dernier jour de l’année s’est fait nuit.
Tout poète connaît ce qu’est le décours de la mort, car c’est devant elle que le langage doit trouver sa force, sa nudité formidable, cette toute petite lumière qui se jette sur un détail, sur une réalité qui est comme talée, à l’instar d’un fruit qui pourrit, car la vie n’est pas autre chose. Ishikawa Takuboku se conduit donc avec noblesse, et ne plie pas devant la mort et son secret, mais nous donne les clefs de ce voyage post mortem lequel est éclairé par une lumière magnifique, poésie japonaise d’une exquise violence.
Ainsi, le poète peut-il écrire :
Cette exaltation qui m’a saisi
jusqu’à hier du matin au soir,
je tente de ne pas l’oublier.
Témoignage d’une chose arrivée par la totalité de ce qui provoque son oubli, afin de trouver cette pierre philosophale qui hante tous les poètes : la vie ressuscitée.
Didier Ayres
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