Une poésie du lien - à propos de deux livres des éditions du Lavoir St-Martin
à propos de deux livres des éditions du Lavoir St-Martin :
D’ors et de ciel, Pascale Anglès, mai 2016, 55 pages, 15 €
Chemin de feu, Bernard Grasset et Glef Roch, 2013, 87 pages, 20 €
C’est lors d’une soirée et d’un récital de poésie dans la résidence d’été de l’éditrice du Lavoir S-Martin, que j’ai rencontré la poétesse Pascale Anglès, laquelle m’a offert son recueil paru en mai dernier. Par la même occasion, Bernard Grasset m’a lui aussi offert un recueil de textes poétiques sur la peinture de Glef Roch. Ainsi, je suis reparti dans la chaude nuit limousine, avec ces deux livres qui m’ont frappé tout autant par leur adresse que par la qualité des textes. Et comme tout cela revient au mérite de Marie-Noëlle Chabrerie, l’éditrice de ces deux ouvrages, j’ai décidé de rassembler ces deux lectures car elles présentaient toutes les deux un terme commun, le lien, une poésie du lien.
Cela illustre bien ce que j’ai ressenti à la lecture D’ors et de ciel, l’ouvrage de Pascale Anglès, lequel s’attache à l’image de la poétesse polonaise Wislawa Szymborska à détailler la vie par petites touches, en même temps que se posent de grandes questions au lecteur, car la langue y travaille en ce sens. Ce qui facilite ainsi de belles formules que je cite au hasard : « Et sous les pierres, les mêmes innocents » ; « LE COQUELICOT DE SANG » ; « C’est l’heure où les voyous regagnent leur toit, /Les mains rougies de fleurs écarlates » ; « Mots pour bercer l’enfant d’éternité » ; « J’ai voulu entrer pieds nus dans la rivière » ; et encore, ce passage qui m’a permis de voir clair dans le livre, et ainsi par voie de conséquence dans le travail de l’éditrice du recueil, les mots suivants : « Frêle lien entre ciel et terre».
Lien, donc, mais avec quoi ? Avec la qualité immatérielle de la présence spirituelle par exemple, ou avec le cœur palpitant et immobilisé soudain dans le tourment humain, d’une adresse au lecteur qui met en tension, en relation avec le tourment commun de notre espèce humaine, ou encore, un lien avec la nature. Ces 26 poèmes offrent une variété de points de vue sur l’homme et son univers intérieur, quelque chose qui se fige dans « le lavoir du monde où [la poétesse lave] le sang des vivants et des morts ». Donc, un lien avec l’au-delà, avec un arrière-monde.
Lien aussi avec les textes de Bernard Grasset, dont je connais mieux le travail après que j’ai pu lire sa traduction de Rachel chez Arfuyen. C’est cette fois encore une mise en relation, et ici en l’occurrence avec des œuvres de Glef Roch, huiles colorées où j’ai cru reconnaître l’influence de Vieira da Silva, ou de Bissière.
Il y a d’ailleurs une gageure à confronter la poésie, art assez silencieux en un sens car elle est vivante dans l’esprit et ne chante qu’intérieurement si on la lit à voix basse par exemple, et la peinture, art du silence sans doute mais qui n’existe souvent que pour prêter la voix à une parole, et devient un art supérieur dès qu’elle a pu franchir le bord cadre pour aller sonner dans les esprits, animés quant à eux par du langage pur.
Si Pascale Anglès habite le monde en poète – comme le préconise Hölderlin – Bernard Grasset actualise la formule célèbre : Ut pictura poesis. Mais l’intérêt passe parfois au-dessus de l’écriture, et se jette vers la musique, art de la frontière entre le dit et le non-dit. Bernard Grasset a-t-il essayé de faire le lien entre ces différentes possibilités de l’art et du silence ?
Je ne résiste pas à conclure ces quelques propos par une allusion aux travaux de Glef Roch, dans lesquels j’ai vu des influences cézaniennes, et qui ont permis au poète B. Grasset d’écrire une sorte de prière profonde et sincère que je cite in extenso :
CHEMINS DE VILLAGE
De petites maisons blanches et rouges s’égrènent sur la hauteur. Tu ne sais plus depuis combien d’heures, combien d’années, tu avances sur ce sentier. Des jours de pluie, des jours de lumière. Sur le cahier, des visages s’effacent, reviennent. Promesse de rencontre.
Les hommes du village parlent une langue inconnue de ceux qui se grisent de bruits. Le chemin est brun. Mains habillées de silence. Vertige et brasier. Frapper aux portes avant que ne tombe la nuit. Langue de cristal, langue de sphinx. Derrière les volets s’éclaire la voix des sources (Peyremale, Cévennes, jeudi 12 avril 2012).
Didier Ayres
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