Une pierre, en chemin, Bernard Fournier (2 et fin)
Une pierre, en chemin, éd. Tensing
Ecrivain(s): Bernard Fournier
Pour le poète Bernard Fournier en chemin, une pierre s’élève tel « un amer pour l’homme en dérive ». Symbole de la permanence, point de convergence entre le ciel et la terre, « signe de la présence, maintenant ici, de la / conjonction des astres et des hommes ; / pour dire aux hommes l’inscription des âmes dans l’espace », la pierre jalonne les Marches du poète, non pas bâton de pèlerin pour la circonstance mais davantage mesure dans l’univers, signe ancestral, socle séculaire, repère cadastral où nos errances s’appuient pour avancer, gravir, s’y retrouver.
« La pierre est venue là, attisée par le feu des étés
où s’échouent les oiseaux ;
Et autour de cet axe gravitent mes pensées ;
Quelles seront mes errances ?
Oui, une mesure a comblé, ici, la présence d’un
homme au creux de son travail ;
Oui les cadastres ont dessiné pour nous, une
ligne réfléchie qu’il nous somme d’instruire ;
Oui, sur ces montagnes proches de l’homme,
l’homme a prescrit une marque ;
Sinon l’espace serait trop grand, sinon les
hommes se perdraient ; »
Ce quatrième opus de la suite Marches de Bernard Fournier (suite figurée par les points virgules clôturant les textes de certaines parties comme un mouvement de partition ; figurée par les nombreux enjambements dans la forme du poème) pose une nouvelle pierre à l’édifice construit par le poète, situant l’Homme dans son Histoire, dans le déroulement de sa Mémoire à travers les âges et les strates des vestiges patrimoniaux, parmi les galaxies entre terre et ciel, au sein de l’univers, puisqu’ainsi la pierre ici signifie et symbolise l’axe qui détermine l’avancée de l’Humanité. La pierre fait trace. Le cri des roches nous parle. Le poète marche tentant de lire, à travers les signes cachés ou disparus – stigmates laissés sur la peau, dans la chair, sous la terre de l’univers pour qui sait les VOIR et sur les chemins de l’Histoire roulant encore leurs reliques sous les pas de notre présent – la parole des pierres.
« (…) ici, se sont arrêtées des armées :
Des guerriers ont vu les feuilles des arbres
changer et les paysans savaient bien qu’ils
n’iraient pas plus loin ;
Là, des princes ont retenu leurs chevaux au
sommet de l’éminence
Ils ont contemplé les deux rives de la rivière,
les deux vallées parallèles
Ils ont instauré leur royaume, leur domaine,
fixé là leurs rêves et leurs amers ;
Mais ils n’ont pas bâti de tours, de châteaux, ni
de donjons sur le promontoire
Ils ont laissé les arbres à leurs faîtes, ils ont
laissé les monts à leurs silhouettes ».
« Aucune faille (…) ne nous fait signe » précise encore le poète dont le rôle de médiateur va consister dans l’exercice d’un regard poétique apte à nous révéler les lignes de parchemins effacés ou disparus : « Il faut exercer son regard à distinguer dans les / champs des ajours ; / Les traces des arbres en disent plus long que / les racines vertes ». Le poète fait la lumière à travers les âges et les strates par les sentinelles vigilantes de sa parole. Chacun, en explorateur libre de l’univers auquel il appartient essentiellement, peut exercer son regard et se mettre à l’écoute, poster son regard sur les lignes déterminantes et déterminées dont les signes sont à portée de lecture ; s’il ne le fait, le poète l’éclairera, (ré-)veilleur permanent.
Guillevic, chez qui l’on retrouve comme chez Bernard Fournier, un monde d’oiseaux, d’hommes et de pierres, écrivait : « La poésie est le seul moyen d’aborder par les mots, quand on sait le faire, le son intérieur de tout réel ». Dans Une pierre, en chemin, Bernard Fournier nous permet par ses mots d’aborder les parchemins du réel. Par la densité de la pierre qu’il lève pour nous.
Demandons à la pierre son mystère, comme nous y invite le poète, levons les voiles sur les traces de notre humanité, du moins tentons de les entrouvrir. Poésie géodésique exploratrice d’une humanité que celle de Bernard Fournier dans cet opus Une pierre, en chemin, en quête du nom de ses attaches et de ses failles, pour toujours pouvoir se retrouver, nous permettre de nous retrouver nous-mêmes, pierre femme, pierre homme, pierre avant tout / ne redoutant rien du temps…
Murielle Compère-Demarcy
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