Une pierre, en chemin, Bernard Fournier (1)
Une pierre, en chemin, éd. Tensing, 2013, 112 pages, 9 €
Ecrivain(s): Bernard Fournier
1ère partie
Ce recueil constitue le quatrième opus de la suite Marches, dont le premier a été publié en 2005 Galerie Racine, le deuxième, suivi d’une lecture de Pierre Oster, aux éditions Le Manuscrit en 2008, le troisième aux éditions Aspect de Nancy, en 2011.
Composé de huit parties, l’opus s’ouvre sur des « Contes » dont l’Imaginaire assure le courant du quotidien, ainsi va l’objectif du genre puisant dans les ressources de l’imagination pour asseoir quelques balises dans la signalétique du réel (« Peut-être rions-nous, mais de peur, de / souffrance et de désespoir » ; « quand le passé nous tire par les cheveux » ; « Nous savons aussi la misère des âmes que la vie / a giflées et qui errent en se lamentant dans / nos habitudes et de nos poches ; ».
Remarquables, les points-virgules qui clôturent – mais pas tout à fait – chaque texte de ces contes, comme une suite de réalités perméables au regard du poète et des observateurs que nous sommes par son regard, dans un monde qui nous entoure et passe les flambeaux de ses évidences en vases communicants. L’objectif du conte est de prolonger l’insertion d’un élément irréel (les sorcières, les fantômes) par une interprétation du monde ancrée dans nos faits et vécus, eux, réellement expérimentés dans ses flux aléatoires et ses certitudes. Paradoxes fixés entre les lignes et dans les mots, sur les pages du poète. Bernard Fournier réussit ce tour de passe-passe littéraire, et réel, par le vraisemblable qui circule dans ces contes à hauteur de nos vécus actés. Son regard n’est pas absent, qui focalise une interprétation personnelle resserrée sur une réalité qu’il nous transmet, nous fait ressentir et qui, du coup, nous parvient tel un message universel (l’objectif aussi du conte en son genre) :
« L’atmosphère persiste sombre dans les
sous-sols obscurs, seulement éclairés de notre
espoir imbécile ;
Nous évoluons comme des chauve-souris,
avides de refermer leurs ailes sur les
moindres aspérités de nos joies ou de nos
gestes ;
Peut-être rions-nous, finalement, tant la farce
est grande, tant les forces sont obscures, tant
les mains sont affreuses ;
Peut-être rions-nous, mais de peur, de
Souffrance et de désespoir ; »
La deuxième partie, Maisons, ancre la demeure dans la fragilité de nos existences. La maison constitue une symbolique, d’où l’être prend ou reprend racines, et se construit :
« Coup de balai, coup de pinceau
On ne refait pas une maison
Comme on refait sa vie ».
La maison apporte un équilibre, édifie des pierres d’attente d’où l’espoir peut renaître. Une quiétude.
« Je veux que notre maison soit belle, qu’elle rie
de son balcon sur la lumière de la rivière, ses
dents comme des pépites qui dansent sur
l’eau ;
Je veux que notre maison soit digne de la tour
qui s’en va en ruine derrière elle
Je veux que la tour s’agrandisse de tous mes
efforts
Je veux voir venir de loin les gabarres qui
remontent du midi
Je veux pouvoir descendre quand bon me
semble les vagues vers la plaine » ;
lira-t-on plus loin dans la partie VIII, Marie de la rivière. C’est que tout, dans cet opus, se tient, par la solidité de la pierre qui fonde ses édifices de passage, en chemin.
La femme (Femmes pleines de vie, enchantez-nous) prend place dans cet univers, nécessaire à l’équilibre : « Pour faire un homme il faut / Deux à trois mille ans d’histoire / Mille et tre âmes qui le chérissent / Du pain, du vin, des jeux / Et les caresses d’une femme ». Au risque de la nuit (titre de la troisième partie), la lumière se scrute « parmi les galaxies » où l’homme cherche une « réponse improbable aux creux des montagnes ». Il est une tonalité et un univers du poète Bernard Fournier à la frontière fragile mais réelle entre le concret et le féérique ; une posture de l’homme, du poète, entre le merveilleux et l’étrange. Comme cette entrée à la lisière entre deux univers, palpable dans Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier. Ce texte remarquable extrait d’Au risque de la nuit en témoigne, parmi d’autres dans le recueil :
« Les oiseaux s’étonnaient de ces nouveaux
abysses
Et la terre exhalait un parfum de sèves
montantes qui affolait les ailes
L’un d’eux plongea
Y retourna, en ressortit et prolongea mille fois
sa course saccadée
Nimbée de lumière
Il aimait ces approches lentes et progressives,
frôlant le bord des lèvres
Il aimait aussi bien les soudaines poussées vers
l’inconnu
Il lui semblait que la terre le tenait entre ses
bras, entre ses lèvres, qu’elle l’enveloppait
Elle chantait, elle aussi, du cri de ses mille
petites rivières qui coulaient au fond du
gouffre :
Elle fut heureuse et se referma comme un
baiser
Il y avait eu un accord d’ailes et de corps ».
D’une sensualité profonde contenue, à l’écoute discrète aiguisée du monde qui l’entoure, le poète en célèbre les chants, les murmures, les frémissements, les vibrations.
Le nom de la fleur se révèle à lui comme le Langage se révèle par ses mots. « La première entreprise fut une fleur qui me dit son nom », écrivit Rimbaud dans Aube.
« Je tente parfois un mot, un nom ;
J’essaie une parole timide devant les hommes ;
Je profère en silence le nom des herbes ou des
oiseaux muets ;
Si je dis abeille, chêne ou renoncule ;
Qu’aurais-je dit ? »
En chemin, le poète « rengaine ses jambes », recharge ses mots, cherchant à nommer un monde qui l’angoisse mais aussi l’émerveille jusqu’à le célébrer au bord des mots, au bord de ses abysses, dans la lumière de la nuit, dans les jours « plus longs que nos rêves », dans un recueillement sur le bord des lèvres et du silence, jusqu’à le chanter en ses plus minuscules éphémères fragiles mais inaltérablement vivantes réalités (Je m’arrête devant une fleur et lui cherche son / nom ; / Cette fleur-là, bleue au liseré jaune / Fragile, éphémère et multiple // Et je dis clématite, comme au fond de ma / mémoire, / Et je dis clématite, rapidement, sans y penser / Et je dis clématite au risque de me tromper // La fleur m’impressionne davantage que tous les / dictionnaires ; »).
Pour que les oiseaux chantent, écrivit Jacques Audiberti, que le vent passe sur les champs, que les vagues soulèvent la mer, il faut le vers réussi, digne du poète. Bernard Fournier, en demandant (en les écoutant : en les observant) aux oiseaux, au vent, aux vagues, à la pierre, leur mystère, les éclaire d’une parole poétique utile et urgente sentinelle. Parole nous faisant don des signes de lecture et d’écriture de l’univers, disant aux hommes l’inscription des âmes dans l’espace ; réfléchissant l’éternelle résonance de ce qui jalonne, interrompt et conduit nos marches en nos chemins empruntés, celui de notre « âme, qui redoute l’espace ; » et cherche « un point de convergence entre le ciel et la terre », une ligne imaginaire dans la densité du réel, la poitrine des pierres.
Murielle Compère-Demarcy
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